La carrière d’Alexandra Stréliski a pris en quelques années une ampleur qui n’a pas vraiment d’équivalent au Québec. Mais la pianiste et compositrice, dont le nouvel album Néo-Romance arrive vendredi, garde les pieds sur terre. Et rêve d’une révolution par l’imaginaire et le beau.

Quand Alexandra Stréliski a lancé son deuxième album, Inscape, en 2018, c’était un peu comme une bouteille à la mer. « Il y avait des fans de mon premier album, Pianoscope, assez pour qu’une étincelle sparke, raconte-t-elle. Mais je me disais que si on en vendait 2000, ce serait super. »

Avec ses 140 000 albums vendus au Canada seulement et ses quelque 300 millions d’écoutes en ligne partout dans le monde, disons que quatre ans et demi plus tard, son statut a changé du tout au tout.

La musicienne s’est déposée lundi matin dans les bureaux de La Presse, le temps d’une entrevue rayonnante et chaleureuse. Elle s’inscrit au cœur d’une immense campagne de promotion qui la mène d’une participation à une populaire émission du matin en Allemagne – un genre de Salut Bonjour ! allemand, où on n’a pas manqué de remarquer qu’elle portait des souliers de course ! – à une présentation promotionnelle (showcase) à New York.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Alexandra Stréliski

C’est qu’Alexandra Stréliski fait maintenant partie de l’écurie Sony, qui la représente partout à l’international, sauf au Canada. Et que la sortie de Néo-Romance est un de ses « projets phares », explique la musicienne, avec une simplicité désarmante par rapport à l’imposant dispositif qui l’entoure.

« Ça demande énormément d’adaptation. On est passé d’une équipe de 10 à une équipe de 80. La semaine dernière on était en Europe, samedi j’étais à Val-d’Or aux funérailles de ma grand-mère, dimanche à Tout le monde en parle, cet après-midi on part pour New York. C’est ma vie, mais en même temps, c’est la même chose qu’avant. C’est juste plus gros. »

La même chose, vraiment ?

« Oui ! J’ai joué à Los Angeles l’autre jour devant des gens de Paramount, Spotify, HBO… C’était super stressant, avec neuf heures de décalage horaire… Mais quand je me mets au piano, c’est juste la simplicité et la sincérité. Un échange d’un artiste aux oreilles et au cœur d’autres humains. »

Ce qui a changé, c’est qu’avec la quantité de déplacements qu’elle doit effectuer, la pianiste fait davantage attention à son hygiène de vie, « presque comme une athlète ». « Je ne peux pas boire, il faut que je bouge plus, que je consomme moins de café. Je ne suis pas la personne la plus disciplinée, mais je me force ! »

C’est le truc qu’elle a trouvé pour garder le calme autour d’elle et ne pas se laisser distraire. Parce que toute cette fébrilité reste quand même exceptionnelle, elle-même en convient.

Il y a beaucoup de magie autour de moi. Depuis toujours.

Alexandra Stréliski

Mais elle relativise, rappelle qu’on est tous des « mini-poussières de poussières dans l’espace-temps ». Et remercie sa naïveté de lui permettre de rester dans le moment présent, « sincère et authentique », en dehors des histoires de succès commercial ou d’ego.

« Ultimement, je suis juste une petite frisée qui joue du piano. Je fais ça depuis que j’ai 6 ans, et c’est le seul chemin de ma vie. »

Déconfinement

Alexandra Stréliski était à Saskatoon pour la présentation des prix Juno lorsque tout s’est arrêté pour cause de pandémie le 12 mars 2020. Elle se souvient nous avoir parlé ce jour-là de sa « chambre d’hôtel brune en Saskatchewan », et surtout d’avoir vite décidé de quitter le pays pour aller rejoindre son amoureuse, à Rotterdam.

Extrait de The First Kiss d'Alexandra Stréliski

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C’est là-bas que son nouvel album a été composé, explique celle qui vit aujourd’hui entre le Québec et les Pays-Bas. Et si Inscape arpentait ses paysages intérieurs, Néo-Romance est plus tourné vers l’extérieur, dans un véritable esprit de déconfinement.

« Ce qui m’intéressait, c’est la fébrilité de retomber amoureux après une peine d’amour… Je l’applique comme concept un peu à tout. Comment on garde le cœur ouvert alors qu’on vieillit, qu’on vit des deuils, des épreuves, que la vie n’est pas toujours évidente. C’est ce que je voulais capturer, la fébrilité de se déconfiner. »

Élégie d'Alexandra Stréliski

En fait, Alexandra Stréliski veut capter l’ensemble de la vie, faire se côtoyer le beau et le dur, la peine et la lumière. Élégie est probablement une des pièces les plus tristes qu’elle ait jamais composées, mais son objectif est d’aller « dans toutes les zones émotionnelles de notre condition humaine ».

La composition de l’album a été influencée par l’air européen, surtout parce que la musicienne a profité de son long séjour là-bas pour « tirer sur le filon » de ses ancêtres du côté de son père français. À sa grande surprise, elle a découvert une lignée de musiciens juifs, chefs d’orchestre, violonistes, profs de piano, mais aussi d’actrices et gérants de théâtre, des Stréliski comme elle qui vivaient à Amsterdam il y a 200 ans.

« J’ai trouvé ça symbolique de me retrouver au même endroit 200 ans plus tard. En plus, je m’étais toujours trouvée bizarre, alors que finalement, je suis juste one of the gang ! »

Extrait d'Air de famille d'Alexandra Stréliski

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Cette découverte l’a aussi ramenée à l’ère romantique qui influence l’album. C’est sûr, Alexandra Stréliski a été nourrie « depuis mini » par Chopin, Liszt et Brahms, et on les entend dans sa musique. Mais elle explique que ce qui l’a surtout inspirée des romantiques, c’est leur « axe », leur parti pris pour « l’expression de leur voix individuelle et l’imaginaire ».

« Et juste l’idée d’être romantique tout court. C’est quoi être un rêveur aujourd’hui ? Pour moi, c’est une arme nucléaire face à la désillusion ambiante et le manque de respect. C’est un truc quasi militant de bombe par l’imaginaire et le beau. »

C’est sa « révolution », donc, et elle est convaincue qu’il n’est pas trop tard. « Les humains vont toujours finir par se battre pour leur humanité. »

Tournée

Après la sortie de l’album, Alexandra Stréliski partira dans une grande tournée qui la mènera jusqu’en juin 2024 de Montréal (pour deux salles Wilfrid-Pelletier quasi complètes) à Paris et à Londres en passant par une foule de villes au Québec, et elle sera accompagnée pour la première fois par un trio de cordes. « Il y a de la puissance dans le piano solo, mais d’un point de vue égoïste, c’est le fun, être un band ! », lance la musicienne qui, dans la vie, est plus du genre « bubbly » que mélancolique.

Elle a d’ailleurs inclus des moments d’orchestration sur son album, des arrangements qu’elle a créés dans une « petite formule style salon français » en hommage à ses ancêtres musiciens, et qu’elle a appliqués par coups de pinceau délicats. « Comme artiste, il faut toujours se garder dans l’innovation. Sinon on stagne. »

Extrait de Lumières d'Alexandra Stréliski

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Quand on lui demande de se projeter, Alexandra Stréliski n’hésite pas une seconde et déclare qu’elle espère composer de la musique de film. « Je veux en faire depuis toujours », dit celle qui s’est fait connaître entre autres en travaillant sur les séries de Jean-Marc Vallée.

Elle a d’ailleurs rencontré à Los Angeles un important agent spécialisé en musique de film qui veut travailler avec elle, glisse-t-elle vers la fin de l’entrevue. « Je sais, c’est fou. Ma vie n’a aucun sens. »

Et après le succès d’Inscape, que souhaite-t-elle à celui-ci ?

« Je veux qu’il vive dans le cœur des gens. Je le lance dans l’univers et on verra où il atterrira. On lui souhaite un beau long voyage. »

Néo-Romance

Musique instrumentale

Néo-Romance

Alexandra Stréliski

Secret City Records

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