Quarante ans après avoir conquis les radios de la province, Soupir continue de faire danser, jusqu’en Angleterre, grâce à des larmes de métal d’abord versées pour la caméra de l’émission jeunesse Pop Citrouille.

La perruque de Playmobil punk que Normand Brathwaite porte au dos de la pochette d’Éclipse, le seul album de Soupir, lancé en décembre 1983 ? « Écoute, je n’ai jamais compris pourquoi je me suis mis ça sur la tête, s’exclame le comédien. Il y a beaucoup d’affaires qu’on a faites dans les années 1980 qu’on ne comprend pas vraiment. »

La chanson Métal (ou Larmes de métal) appartient aussi à cette catégorie d’artefacts que seule la décennie du fixatif à cheveux en abondance et des épaulettes surdimensionnées aurait pu produire.

Marie Bernard était encore étudiante au Conservatoire de musique de Montréal, où elle jouait des ondes Martenot, lorsqu’elle a été embauchée à Radio-Canada par son mentor François Dompierre afin de chanter au sein du chœur de la messe télévisée, alors enregistrée en studio. À la suite du départ de Dompierre, elle en assurera brièvement la direction musicale, jusqu’à ce que le rendez-vous dominical soit tourné dans de véritables églises.

« J’avais 21 ou 22 ans et j’avais goûté à ce que c’était d’avoir une paie en faisant de la musique, donc je suis allée voir au 7e, l’étage jeunesse », se souvient la musicienne, dont les ondes Martenot peuvent être entendues sur des albums d’Harmonium, de Beau Dommage et d’April Wine. À partir de 1976, elle collaborera comme compositrice à plusieurs émissions, dont Pop Citrouille (1979 à 1983), un variétés pour préados servi par une foisonnante équipe d’auteurs, comme Jacques Grisé, Robert Gravel et Jean-Pierre Plante.

PHOTO PAUL-HENRI TALBOT, ARCHIVES LA PRESSE

Normand Brathwaite en avril 1983

« Même si c’était une émission pour enfants, on prenait un soin extrême à créer de la musique qui nous plaisait à nous aussi », explique Normand Brathwaite, qui s’est joint à l’équipe en 1980. Il ajoute en riant : « On s’entend : dans les auteurs de Pop Citrouille, il y en avait qui étaient frostés en tabarnac. »

Un succès potentiel

Sous influence ou pas, les auteurs de Pop Citrouille savaient assurément prendre le pouls de ce qui faisait battre la culture populaire du moment. Et en 1982, nombre de tubes sont étrangement obsédés par les liens unissant technologie et amour, ordinateur et affaires du cœur.

Quand l’autrice Paule Marier (plus tard derrière Cornemuse et Toc Toc Toc) lui a passé la commande d’une musique qui pasticherait le new wave et ses voix traitées afin d’accompagner son texte dégoulinant de clichés écrit du point de vue d’un robot éploré, Marie Bernard s’est tournée naturellement vers ses disques des Talkings Heads et de Devo.

J’avais surtout un background classique, Debussy, Fauré et Ravel, mais la télé m’a obligée à me tenir au courant de ce qui se passait en musique pop.

Marie Bernard

Avant même d’être diffusée dans l’émission du 11 novembre 1982 de Pop Citrouille, Larmes de métal accroche l’oreille du conjoint de l’époque de la compositrice, l’ingénieur de son Paul Pagé, qui lui rendait souvent visite au travail et qui fera entendre la chanson au cofondateur de la maison de disques Pro-Culture Serge Trudeau. « Tous les deux trouvaient qu’on avait entre les mains un hit potentiel, dit-elle, et qu’on ne pouvait pas laisser passer ça juste une fois à Radio-Canada. »

Mais comme la société d’État en possédait les droits, Marie Bernard doit en enregistrer une nouvelle version, bien qu’avec l’aide des mêmes musiciens, dont le bassiste Claude Arsenault, le batteur Richard Provençal et le guitariste Jean-Marie Benoit.

PHOTO JEAN-GUY THIBODEAU, FOURNIE PAR MARIE BERNARD

Paul Pagé, Normand Brathwaite et Marie Bernard

« Moi, je tripais solide, parce que ces gars-là, c’était mes idoles », s’exclame Brathwaite, qui avait alors la mi-vingtaine et qui se retrouvait aux côtés de pointures entendues sur des classiques de Robert Charlebois, Diane Dufresne ou Jean-Pierre Ferland.

Lancé en janvier, le 45 tours de Métal se hisse rapidement sur les palmarès et devient, selon La Presse du 30 avril 1983, « la chanson la plus populaire au Québec actuellement ». L’enregistrement d’un album coréalisé par Marie Bernard et Paul Pagé, qui complètent le groupe Soupir avec leur camarade comédien, s’impose.

Comme une caricature

Paru en décembre 1983, Éclipse se veut la chronique de la première nuit suivant une rupture. Si aucune des autres chansons n’éclipse (!) la puissance de son premier simple, Zig Zag et Game Over feront bonne figure sur les ondes FM.

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L’électro-funk de Coup d’poing et le pop-prog à la Genesis de C’est rien qu’une grosse peine d’amour fournissent ses moments les plus savoureux à un disque qui n’a malheureusement jamais été réédité.

Malgré ce succès et quatre citations aux galas de l’ADISQ (en 1983 et en 1984, dont une pour Normand dans la catégorie Interprète de l’année !), Marie Bernard, d’un naturel timide, préférera ne pas transposer l’aventure à la scène. Comme tant de groupes des années 1980, Soupir demeurera une histoire de studio.

« Pour moi, Soupir, c’était comme une caricature. On jouait pour le pur plaisir de jouer, on a eu un fun noir, mais j’avais autre chose à aller explorer », confie celle qui a poursuivi son travail d’ondiste et de compositrice, en plus de signer la réalisation d’Un trou dans les nuages (1987) de Michel Rivard (avec Paul Pagé) et de Détournement majeur (1993) de Diane Dufresne. Paul Pagé a pour sa part réalisé des albums incontournables de Pierre Flynn, Richard Séguin et Laurence Jalbert.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Diane Dufresne et Marie Bernard en 1993

Quatre décennies après sa brève existence, le trio au look de patrouilleurs de l’espace trouvait récemment écho dans la rubrique Enigmas du respecté magazine anglais Electronic Sound, qui met en lumière des bijoux méconnus de l’histoire de la musique mondiale. Le journaliste Scott Blixen y parle d’Éclipse comme d’un « délice pour quiconque est à la recherche d’électro-pop oublié ».

« Quand je revois le clip aujourd’hui, où je suis en bottes de minou et en collants, le torse à l’air avec un coat en satin, je trouve ça d’une drôlerie », lance Normand Brathwaite, qui a interprété Métal à Zénith le mois dernier et pour qui Marie Bernard est rien de moins qu’un génie. « Chaque fois que je la chante, je n’oublie pas que tout ça vient d’une émission pour enfants complètement pétée. »