Au Club Soda, jeudi soir, Steve Hill célébrait 30 ans de carrière, l’occasion de mesurer l’étendue d’une œuvre que l’on réduit trop souvent à la virtuosité de son créateur. L’occasion aussi de remercier Jimi Hendrix d’avoir détourné le guitariste québécois de la voie beaucoup moins rock’n’roll dans laquelle il souhaitait s’engager.

Avant de tomber à l’adolescence sur un magazine de guitare consacré à Jimi Hendrix, Steve Hill rêvait à une autre vie : celle de dessinateur de bandes dessinées. Il n’avait alors en tête que deux scénarios : être embauché par Marvel ou par DC Comics. Mais, il le découvrirait bientôt : « Jouer de la guitare, c’est l’affaire la plus tripante qu’il n’y a pas », a répété le maître de la six cordes jeudi soir à ceux et celles qui étaient venus célébrer avec lui au Club Soda ses 30 ans de carrière.

« On a beaucoup de musique pour vous ce soir », a d’emblée prévenu le fêté, une promesse très, très, très bien remplie.

D’une durée de plus de trois heures (!), sa performance incluait des titres tirés de chacun de ses 12 albums, de sa relecture homérique de I’m a King Bee (enregistré en 1997 sur ce disque homonyme dont la pochette montre un Steve au visage poupin) jusqu’au riff très Pete Townshend de Don’t Let the Truth Get in the Way (Of a Good Story) (hymne ironique aux faits alternatifs, tiré de l’excellent Dear Illusion, paru en novembre dernier).

Lisez notre critique de Dear Illusion

Après avoir beaucoup fait l’homme-orchestre, en solitaire, depuis 2012, le propriétaire de la plus vaste collection de vestes en denim au Québec renouait jeudi avec ses musiciens, dont son fidèle batteur Sam Harrisson (capable d’évoquer à la fois l’enclume et le papillon), le bassiste Alec McElcheran et un trio de cuivres formé de Jacques Kuba Séguin (trompette), Édouard Touchette (trombone) et Mario Allard (saxophone baryton).

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Steve Hill et ses musiciens

Ainsi toutes alignées, les chansons du vétéran de 48 ans illuminaient un des aspects les moins célébrés de son œuvre : la souplesse de son prolifique travail d’auteur-compositeur, qui sait mettre sa connaissance encyclopédique du blues, du rock et du country au service d’une musique ne versant jamais dans le pastiche. Une musique qu’enrichit cette voix de plus en plus caverneuse, sculptée par le whisky, l’âge et l’adversité. L’adversité demeure d’ailleurs un de ses principaux sujets, la faute à une carrière où les obstacles ont été nombreux.

Quelques beaux moments de cette soirée ? Sa version funky d’Emily, d’habitude une ballade fleur bleue, et Out of Phase, une des chansons plus introspectives de son répertoire, qui a fini jeudi par émerger elle-même de la torpeur que ses paroles décrivent grâce à une chatoyante coda imaginée à la slide.

Des fenêtres de vulnérabilité

Au risque d’enfoncer une porte ouverte, écrivons néanmoins pour la énième fois à quel point Steve Hill est un guitariste d’exception, dont les solos sont époustouflent, certes, mais n’époustouflent pas que pour époustoufler.

Derrière son instrument, Steve Hill est quelque chose comme un miracle, la preuve que la grâce existe en ce bas monde. Steve Hill, superhéros ? Il se comporte en effet comme les personnages des comic books de son enfance, en ce sens qu’il montre à chacun de ses solos que même les mortels peuvent accomplir des choses surhumaines.

Si un bon solo de guitare est une manière de raconter une histoire, Steve Hill n’a rien à envier aux meilleurs conteurs, lui dont les improvisations savent à la fois traduire l’extase et la mélancolie.

Au strict plan du texte, Never Is Such a Long Time est une chanson qui bombe le torse, mais dans laquelle ses doigts viennent découper des fenêtres de vulnérabilité, une tension typique de tant de grands standards blues. Même dans ses passages les plus sombres, son œuvre reste du côté de la lumière, grâce à ce jeu d’une folle richesse d’expressivité.

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Steve Hill

« J’tripe encore sur jouer de la guitare », confiait Steve à la fin d’une première partie de deux heures, qu’il a conclue en puisant dans Devil at My Heels (son imbattable incursion hard rock de 2007). De retour sur scène, bière à la main, le p’tit gars de Trois-Rivières a interprété une douzaine de classiques de Hendrix, généreux coup de chapeau à celui sans qui il gagnerait peut-être sa vie avec ses crayons.

« Give me something real / Give me the truth / Give me something I can feel », répète Steve Hill à la fin de The Collector, quelques phrases qui pourraient aussi résumer une carrière durant laquelle il n’a jamais eu d’autre objectif que de rester vrai et de procurer à ses fans, l’instant d’un spectacle ou d’un solo, le sentiment de vivre intensément.

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