À 74 ans, le fondateur du plus montréalais des groupes néo-écossais raconte pourquoi il a choisi de laisser la formation continuer sans lui.

En 1970, April Wine envoie par la poste un démo à Terry Flood et Donald K. Donald, qui avaient mis sur pied à Montréal l’étiquette Aquarius. Une soumission à laquelle la maison de disques offre une réponse sympathique, bien que négative, assortie d’une formule de politesse du genre : « Si jamais vous passez dans le coin, venez nous saluer. »

Il n’en fallait pas plus pour que les frères David et Ritchie Henman, qui avaient fondé April Wine en 1969 avec leur cousin Jim et leur ami Myles Goodwyn, quittent leur Nouvelle-Écosse. « Et c’est en arrivant à Montréal en avril qu’on a réalisé qu’on avait mal saisi l’échange avec Aquarius », se remémore Myles Goodwyn, joint chez lui à Halifax. « On était jeunes et confus et on avait compris qu’ils nous offraient de signer avec eux. »

Confusion fructueuse : impressionnés par leurs visiteurs, qui acceptent de s’exécuter devant eux, Flood et Donald dénichent pour April Wine des occasions de jouer un peu partout au Québec et dans les Maritimes, puis leur tendent un véritable contrat, qui mènera en septembre 1971 au lancement du premier des 16 albums de la formation.

Quelques mois plus tard, le 18 février 1972, April Wine officiait en première partie de Stevie Wonder, dans l’enceinte de l’ancien Forum.

Pendant notre test de son, on jouait une de nos chansons et soudainement, je me suis mis à entendre du piano. Mais on n’a pas de pianiste dans le groupe ! C’était Stevie Wonder qui était assis à son piano et qui s’était mis à jammer avec nous.

Myles Goodwyn

Dans le bar de Big Bird

Malgré ses profondes racines néo-écossaises, April Wine demeurera éternellement associé à Montréal. Ce n’est pas innocent si, à l’endos de la pochette de The Nature of the Beast (1981), Myles Goodwyn arbore un chandail du Canadien de Montréal, équipe auprès de laquelle il eut l’occasion de nouer de nombreuses amitiés, avec Larry Robinson, notamment.

« Myles est extrêmement doué dans son domaine et nous avions nous-mêmes une équipe qui était plutôt talentueuse, alors il y avait entre nous une admiration réciproque », explique l’ancien défenseur étoile du Canadien, joint au téléphone mardi. « J’ai toujours été impressionné par les bons chanteurs. »

Au moment où ils quittent l’Ouest-de-l’Île pour s’installer à Saint-Lazare, Larry Robinson et son coéquipier Steve Shutt s’associent avec des amis et deviennent propriétaires du Fox’s Run, un débit de boisson situé aux portes de la ville de Hudson, où Goodwyn résidait avant de rentrer dans sa province natale il y a sept ans.

« C’était vraiment un dive bar, il n’y avait pas plus que 60, 70 personnes qui pouvaient entrer », se rappelle le numéro 19. « Et les gars d’April Wine venaient parfois pour prendre une bière ou deux, et même pour jouer. »

April Wine sans Myles

Actif de 1969 à 1986, puis de 1988 à aujourd’hui, April Wine aura incarné le meilleur du rock radiophonique à la canadienne, grâce à un son oscillant entre le soft rock de ballades surnageant dans le miel et la double (ou triple) attaque guitaristique indissociable de certains classiques de la programmation de CHOM-FM, comme Oowatanite ou Sign of the Gypsy Queen.

PHOTO PAUL MCKINNON, ALAMY STOCK PHOTO

Myles Goodwyn, en 2005, entouré du batteur Jerry Mercer et du regretté bassiste Jim Clench

Une incontournable que Myles Goodwyn interprétera pour la dernière fois ce jeudi soir au centre communautaire Rath Eastlink, à Truro, en Nouvelle-Écosse, à l’occasion de son spectacle d’adieu à April Wine.

S’il reste officiellement membre de la formation, et qu’il n’exclut pas la possibilité d’un nouvel album, l’auteur-compositeur de 74 ans n’en peut plus des irritants associés aux voyages en avion, qui l’empêchent de bien contrôler son diabète.

Mais, décision inusitée : plutôt que de simplement mettre la clé sous la porte, le leader aura participé au choix de son remplaçant, Marc Parent. April Wine se joint ainsi à une catégorie insolite de formations qui survivent au départ de tous leurs membres fondateurs, dont Blood, Sweat & Tears, Quiet Riot et Thin Lizzy. Le guitariste Brian Greenway, fidèle complice de Goodwyn depuis 1977, incarnera désormais la caution d’authenticité du groupe, qui a déjà une douzaine de spectacles à son agenda jusqu’à la fin de 2023.

Dans Rock N’ Roll Is a Vicious Game, Myles Goodwyn se désole que tant de géants du rock n’aient pas su éviter le trou noir de l’excès. « Mais dans mon cas, le rock’n’roll a été plus généreux que vicieux, assure-t-il. Souvent, je pense à tous ces excellents musiciens qui n’ont jamais pu gagner leur vie et ça me fait prendre conscience de ma chance. Ma mère est morte quand j’avais 11 ans et la musique est immédiatement devenue mon refuge. Je ne vais jamais l’abandonner. »

Des bâtons contre une guitare

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Larry Robinson, en mai 1978

Myles Goodwyn n’est pas le seul grand rockeur canadien dont Larry Robinson a croisé la route. Big Bird et Shutty se retrouvent à Atlanta, le soir précédant un match contre les Flames, à boire des bières dans l’autocaravane de Rush (selon les recherches croisées de La Presse, c’était en 1975). L’invitation à assister au spectacle leur avait été lancée par Geddy Lee, qui a fréquenté la même école secondaire de Toronto que Steve Shutt. « Et comme je savais que les gars jouaient tous au hockey, j’ai proposé à Alex Lifeson de lui échanger deux douzaines de mes bâtons Koho contre une guitare acoustique Gibson. Et il a accepté ! » M. Robinson la gratte-t-il ? « Non, j’ai essayé, mais j’ai de trop grosses mains. Je l’ai donnée à mon beau-frère. »