Près de 20 ans après sa fondation, Valaire décoche un clin d’œil à la musique de ses débuts sur Jazz Futon. Entrevue amitié.

Ça se passe autour de la troisième minute de Gotta Go, le solaire hommage au rap des années 1990 imaginé par Valaire, de connivence avec le MC américain Ciscero. Non, vos oreilles ne vous jouent pas un tour, ce que vous entendez est bel et bien un solo de basse électrique, coloré par cette pédale de chorus qui donne à l’instrument cette curieuse sonorité sous-marine. Et c’est automatique : nous revoici l’instant de quelques secondes en plein jazz fusion, ce sous-genre souvent raillé, mais grâce auquel ils sont plusieurs à être arrivés au jazz.

« Quand on a commencé Valaire au secondaire, France [François-Simon Déziel] portait un bandana et jouait de la basse fretless », se souvient avec un grand sourire taquin son collègue Luis Clavis. De la basse fretless ? C’est l’instrument emblématique du plus grand bassiste de jazz fusion de tous les temps, Jaco Pastorius, ainsi que celui d’Alain Caron d’Uzeb, le groupe de jazz québécois le plus mondialement populaire. Que la septième piste du nouveau Valaire s’intitule BEZU n’est évidemment pas une coïncidence.

« France jouait assis en indien sur son ampli. Et il avait l’espèce de chapeau fait dans le même tissu qu’une balle d’aki. » Luis rit doucement. « France, c’était un grand joueur d’aki ! »

Ici s’arrête cependant les parallèles à dresser entre le jazz fusion et le sixième album de Valaire, né Misteur à Sherbrooke en 2004, il y a maintenant bientôt 20 ans. Jazz Futon n’a rien, non plus, d’un retour au jazz plus pur de Mr. Brian (2005) et repose sur le même captivant alliage, dont le quintette est passé maître, de bombes pop et de voyages en roue libre dans les contrées d’une musique instrumentale moins cadrée. Un mobilier particulièrement achevé sur lequel leur amie de toujours Fanny Bloom, leur mentor soul Alan Prater et le prodige des ivoires Anomalie se sont tous déposés.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Valaire avec Alan Prater en juillet 2021 au Festival d’été de Québec

Près de sept ans après la parution d’Oobopopop (2016), c’est moins avec l’ambition de transformer une formule éprouvée – utiliser les vers d’oreille comme cheval de Troie à des moments plus exploratoires – que DRouin, Tō, Luis Clavis, Kilojules et France reviennent à Valaire, qu’avec une conscience exacerbée de leur chance de s’avoir entre eux.

Il fallait voir Luis Clavis, le mois dernier, lors de la résidence de son savoureux projet solo au Ministère, présenter son pote Jules à la batterie avec le même émerveillement que s’il venait de le rencontrer. « Oui, je suis full fier de ces gars-là ! », lance-t-il. Et si le succès d’une amitié tenait à ce désir renouvelé d’être au sommet de son art dans le regard de l’autre ?

« Même quand j’ai fait mon projet, j’ai demandé aux gars d’être là, parce que c’est ce qui était le plus challengeant, explique-t-il. Pour moi, m’installer au micro avec mes petites chansons personnelles devant eux, c’était encore plus vulnérabilisant que de travailler avec quelqu’un de l’extérieur. »

Je ne sais comment le dire autrement : c’est une belle histoire d’amitié, ce qu’on a. C’est fou raide que Jules soit venu manger chez moi tout le primaire, qu’on se retrouve aujourd’hui à partager une chambre d’hôtel en tournée et qu’en plus, on ne se tape pas sur les nerfs. C’est grandiose.

Luis Clavis

Le porte-parole de la formation se rappelle avoir croisé sur la route le guitariste d’un groupe populaire qui, dans sa chambre d’hôtel, fulminait contre son chanteur, qui, lui, avait été convié à livrer une performance télé.

« Les gars m’envoient faire les entrevues, parce que ça fait leur affaire, mais il n’y a pas de leader dans Valaire, pas de compositeur qui ramasse plus que l’autre, et c’est clair que ça aide à la longévité du band, pense Clavis. Je réalise de plus en plus la sécurité d’être un groupe. Avoir de l’ambition à cinq, c’est vraiment moins stressant que d’avoir de l’ambition tout seul. »

En souvenir de Karim

Voici le ciel avant qu’on touche au sol, la pièce la plus introspective de Jazz Futon, soulevée par les vrilles de trompette de Tō, emprunte son titre à une phrase que chantait Karim Ouellet sur Je vous salue Marie, la dernière chanson de Motel Califorña (2012) de Qualité Motel, le projet parallèle ludico-pop de Valaire.

« Voici le ciel avant qu’on touche au sol, c’est tellement Karim comme phrase », observe Luis en répétant doucement cette phrase chargée de sagesse, qui contient tout ce que la poésie de leur défunt camarade avait de spirituel et d’enraciné. Valaire sera évidemment présent le 1er avril lors de la reprise au Grand Théâtre de Québec du spectacle célébrant la vie et l’œuvre du renard, présenté aux Francos l’été dernier.

Son départ, « ç’a été un bon reality check, confie Luis. Ç’a été un gros rappel que tous ces moments de musique qu’on partage, ça n’a rien de con, rien de vain. Ce n’est pas con de vouloir être avec ses amis le plus souvent possible. C’est précieux tout ça. Ça vaut cher ».

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