À votre avis, à quoi peut bien servir cette passionnante vidéo ?

Elle permet à un musicien qui n’a pas de métronome de jouer précisément à 110 battements par minute⁠1. On trouve des centaines de ces vidéos sur YouTube, à toutes les vitesses, sans parler des nombreuses applications qui remplacent parfaitement cette antiquité :

C’est en 1816 qu’un ingénieur bavarois nommé Johann Maelzel a fait breveter le métronome, qui est l’échelle de référence du rythme pour les musiciens.

Toute petite, quand j’ai commencé le piano, on avait encore le vieux métronome en forme de pyramide utilisé chez ma grand-mère. J’aurais dû le garder : en ligne, ces vieilles machines se vendent maintenant des centaines de dollars.

Je me rappelle la sensation du curseur bougeant sur la tige, un métal solide cliquetant doucement sur son échelle graduée. Avec son boîtier en bakélite, ce plastique lourd et increvable, l’appareil dégageait une impression de solidité, de mécanique irréprochable.

Mais le chef d’orchestre Bernard Labadie n’a jamais eu la même confiance que moi : « On pouvait toujours se demander si le ressort fonctionnait correctement, si le tempo donné était exact. »

Depuis deux siècles, une bataille fait rage sur les indications métronomiques de Beethoven dans ses symphonies : elles sont si rapides qu’on a souvent dit que son métronome devait être défectueux. Une explication quand même un peu forte de café…

Bernard Labadie, chef d’orchestre

Le deuxième mouvement de la Huitième symphonie de Beethoven est considéré comme un clin d’œil au métronome, dont il connaissait l’inventeur. Le chef Paavo Järvi adopte précisément le tempo noté par Beethoven, 88 battements par minute, ce qui semble ma foi très seyant pour un allegretto.

Mais si on superpose un véritable métronome à cette performance, les décalages sont nombreux et je vous jure, c’est le métronome qui a l’air fou !

Sans repasser la théorie de la relativité (j’en serais bien incapable), on peut dire que le temps est élastique : les deux minutes qui vous séparent du résultat d’un test de grossesse sont à la fois interminables et denses, mais deux minutes au soleil sur une plage ont la légèreté d’une meringue.

Pareil en musique : le temps est variable selon la quantité et la texture des notes qui l’occupent, et selon la personnalité des musiciens. En musique classique, on n’a pas la référence d’une batterie qui garde le beat, tout devient donc… négociable.

Les musiciens doivent apprendre à se parler, car l’absolu du métronome ne vaut rien : c’est même presque une insulte de l’invoquer, ou de proposer de l’utiliser dans un groupe.

La diplomatie est utile : « Je pense qu’on ne compte pas de la même façon » sera mieux reçu que « Tu accélères ! ». « Je ne saisis pas ta conception du rythme » passera mieux que « Tu rushes toujours le troisième temps ! ».

Yukari Cousineau, violon solo de l’Orchestre Métropolitain, fait beaucoup de musique de chambre. Dans une vidéo produite pour ICI Musique⁠2, elle explique que le métronome lui permet d’être consciente de ce qu’elle fait. « Il y a une grande différence entre prendre des libertés et… faire n’importe quoi ! », dit-elle.

« Si je fais quelque chose d’illogique rythmiquement, je fais des jambettes à mes collègues […] Je vais d’abord m’arranger pour avoir une structure stable, en utilisant le métronome. Ensuite, si j’ai des intentions d’aller plus vite ou plus lentement, bouger à l’intérieur d’une phrase, tant que ce que je fais est clair et volontaire, mes collègues vont être heureux et suivre sans problème. »

Le travail entre les interprètes est toujours un défi, mais quand il s’agit d’une nouvelle œuvre, il faut aussi s’entendre avec le compositeur.

Olga Ranzenhofer, fondatrice et premier violon du Quatuor Molinari, l’a fait des centaines de fois. « On travaille au départ avec le métronome, pour bien comprendre les intentions du compositeur, avant de les interpréter à notre goût. Il faut dire que les compositeurs eux-mêmes, en entendant la pièce prendre vie, changent parfois d’idée et réajustent leurs indications métronomiques. »

Le tempo n’est jamais immuable ; la musique doit respirer, ce que le métronome ne fait pas !

Olga Ranzenhofer, fondatrice et premier violon du Quatuor Molinari

On a tous un rapport personnel avec cette machine impitoyable.

Frédéric Lambert, alto solo à l’Orchestre symphonique de Laval et professeur à l’UQAM, dit toujours à ses étudiants : « Le métronome, il faut simplement le voir comme quelqu’un qui nous veut du bien. Se faire dire nos vérités, ça fait souvent mal ; seuls les bons amis le font. »

Il a raison : quand j’apprends une nouvelle pièce, le test du métronome va détecter les passages moins sûrs techniquement. En travaillant des gammes et des arpèges, il permet de vérifier l’égalité et de monter peu à peu l’intensité de l’exercice.

Depuis bien plus longtemps que la Fit Bit pour nos entraînements, le métronome accompagne nos performances athlétiques, à l’instrument.

1. La maudite machine, chanson de 1973 du groupe Octobre, est justement à 110 battements par minute. Je croyais la batterie de Pierre Hébert aussi immuable qu’une machine, mais en y superposant le métronome, on mesure la marge humaine… pour le mieux.

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2. Voyez la vidéo complète « Apprenez à jouer du violon avec Yukari Cousineau (Violon solo, Orchestre Métropolitain) »