« On dirait qu’on a peur d’aller en profondeur avec moi en entrevue, alors que c’est là que j’ai le plus de plaisir », lance Marie-Mai, qui souligne ses 20 ans de carrière avec Immuable, une célébration télévisée de son riche catalogue. Rencontre avec une créatrice qui préfère parler de sa musique que de ses vêtements.

Nous sommes à Rimouski, durant la tournée d’Elle et moi, le sixième et plus récent album de Marie-Mai, paru il y a déjà cinq ans. La chanteuse de 38 ans évoque le souvenir de ce spectacle inoubliable dans un des segments d’entrevue d’Immuable, l’émission spéciale de Télé-Québec dans laquelle elle revisite une dizaine de ses meilleures chansons, d’Encore une nuit jusqu’à Je décolle.

« À ce moment-là, j’accordais beaucoup d’importance à ce que les autres pensaient de moi, parce que je savais que les gens avaient cette fausse idée que c’était Fred [St-Gelais] qui écrivait les hits tout seul et c’était le premier album que je faisais sans lui », se souvient-elle en entrevue avec La Presse. « Je voulais tellement me prouver et ç’a fini par m’épuiser. » Ce soir-là, à Rimouski, Marie-Mai oublie ses paroles, s’assoit sur la scène et s’adresse à son public.

J’étais tellement gênée, je me sentais tellement pas bonne et je l’ai dit devant tout le monde. Pour moi qui ai passé toute ma vie à ne pas vouloir montrer ma vulnérabilité, dire ça, c’était comme m’enlever 50 livres de sur les épaules.

Marie-Mai

L’obsession de l’authenticité

Elle le sait intimement depuis ce moment marquant : « Être forte, c’est aussi savoir montrer ses faiblesses. » Une idée avec laquelle son subconscient, lui, était déjà familier, constate-t-on à l’écoute de la version dépouillée de C’est moi (2009), moment chargé du deuxième acte d’Immuable.

Ce grand succès, de mémoire plutôt guilleret, y devient une troublante plongée dans la psyché d’une femme en détresse, qui s’enorgueillit d’avoir « le sourire collé aux lèvres, qu’on l’admire ou la déteste ». Refuser de laisser quoi que ce soit glisser entre ses doigts, comme elle le chante, n’est-ce pas se condamner à ne jamais être satisfait ?

« C’est la beauté de l’écriture », observe Marie-Mai en souriant. « Fred était arrivé avec le beat et ça m’a pris 15 minutes, écrire le texte et la mélodie, mais c’est seulement aujourd’hui que j’en comprends réellement le sens. Ce qui se voulait une chanson de confiance en soi parlait en réalité de ce qui me détruisait à petit feu, parce que je refusais de baisser ma garde. »

Mentir, Garde tes larmes, Conscience, Trahison sur ma peau. La question de l’authenticité – ça n’aura jamais été aussi évident que dans Immuable – a toujours été au cœur des textes de Marie-Mai. Ironique pour une artiste à qui les médias ont souvent reproché d’en manquer.

« Et ça m’a toujours surprise, parce que je ne me suis jamais trouvée pas authentique, s’exclame-t-elle. J’ai l’impression d’avoir toujours tout dit sur moi. La seule chose qui ne m’a peut-être pas aidée, c’est mon désir de ne pas décevoir, de ne montrer que le meilleur de moi-même. Je pensais que c’était ça, être un modèle de positivisme. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Marie-Mai reviendra sur ses 20 ans de carrière dans l’émission Immuable.

A-t-elle l’impression que l’on reproche plus souvent aux femmes qu’aux hommes de ne pas en offrir assez, ou de déborder des cases auxquelles on les a assignées, comme ce fut son cas au moment où elle a remporté en 2010 le Félix de l’album rock de l’année (pour un album pas assez rock, prétendait-on) ou au moment où elle est passée à l’animation ?

Je pense qu’il y a plusieurs choses qui arrivent plus souvent aux filles qu’aux gars, et ça en fait partie. Il faut que je fasse attention, parce que je ne veux pas avoir l’air aigrie, mais ça me surprend toujours qu’au nombre de trucs que j’ai faits dans les 20 dernières années, on ait souvent eu tendance à me réduire à un look, une image.

Marie-Mai

Comme lorsque Anaïs Favron l’a interpellée à Tout le monde en parle dimanche dernier au sujet des sous-vêtements qu’elle porte (ou non) dans une des scènes d’Immuable ? Marie-Mai préfère ne pas s’épancher là-dessus, sachant trop bien que les sites web à potins raffolent de ce genre de déclarations.

« Mais mettons qu’on en parle au sens large, je suis sûre que si on raboute tous les moments où on m’a questionnée sur mon look en entrevue, on trouverait que ça frôle le jugement. On ne met jamais autant l’accent sur les vêtements de Pierre Lapointe ou, quand on le fait, c’est pour le valoriser, parce que comme pour moi, ça fait partie de sa façon de s’exprimer. »

Tout à gagner

« C’est terminé, la course au succès », annonçait Marie-Mai à notre collègue Josée Lapointe en septembre 2020, un serment auquel elle dit toujours souscrire alors qu’elle lance deux nouvelles chansons, prélude à un septième album, dont Pour toi, qui a pourtant tout d’un tube en puissance.

« C’est terminé parce que je n’ai jamais été aussi triste que lorsque j’étais au top, top, top [en 2016], confie-t-elle. Je pensais que les Centre Bell et les numéros 1 me combleraient, que les portes du bonheur allaient s’ouvrir, mais j’avais l’impression à ce moment-là d’avoir sacrifié toute ma vie pour quelque chose de pas si savoureux que ça, finalement. Les murs sont tombés autour de moi et ç’a été l’occasion d’enfin incarner la confiance que je chantais depuis des années. »

Où Marie-Mai, l’artiste, trouve-t-elle désormais son bonheur ? Dans ce processus à la fois simple et mystérieux que représente l’écriture de chansons. Et dans les collaborations avec de nouvelles voix (Alexe, Amay Laoni, Naomi), qu’elle a multipliées au cours des dernières années. Des duos dont elle n’a personnellement rien à gagner, lui suggère-t-on.

Marie-Mai nous contredit poliment. « Je pourrais dire “Non, je préfère collaborer avec des artistes qui sont déjà big”, mais ce serait con. J’ai tout à gagner de ces rencontres-là, parce qu’elles me nourrissent. »

Comment Marie-Mai l’autrice-compositrice s’est-elle transformée ? « Je ne sais pas si ça va avoir l’air hippie, mais j’apprends de plus en plus à faire confiance à l’inspiration, à ne pas vouloir tout contrôler. J’ai encore le souci de m’exprimer de la bonne façon, mais j’apprends de plus en plus à juste respecter ce qui est là. » Il faut parfois avoir la sagesse de laisser les choses nous glisser entre les doigts.

Marie-Mai Immuable, samedi, 21 h, à Télé-Québec

Elle se voyait déjà…

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Mai en septembre 2004

Il y a 20 ans, Marie-Mai Bouchard, 18 ans, faisait à Star Académie ses « premiers pas dans la vie adulte » en même temps que « ses premiers pas dans le showbusiness ».

« J’étais jeune, mais j’étais prête, se souvient-elle. J’ai souvent entendu Lady Gaga dire en entrevue qu’elle savait déjà qu’elle était une star, même avant d’en devenir une et, dans ma tête, c’était pareil. Je descendais les marches chez moi et j’étais comme Madonna qui marche vers sa scène. Quand je suis arrivée sur le plateau de Star Académie, c’était tout ce que j’avais toujours visualisé. »