Dans son nouvel album Reines, Ingrid St-Pierre s’est accordé quelques libertés. Dans l’écriture parfois plus frontale, dans la colère assumée, dans la manière de chanter, plus grave. Mais aussi plus de liberté en tant que femme.

« Reines, c’est moins un hommage qu’un merci aux femmes fortes qui m’entourent, aux femmes qui prennent la parole, qui s’élèvent, qui m’ont appris à ne plus laisser dépasser mes limites. »

C’est ce que nous explique doucement Ingrid St-Pierre dans un café montréalais où elle a ses habitudes. L’autrice-compositrice-interprète n’a rien perdu de sa délicatesse, mais si on pense qu’elle ne se fâche jamais ou qu’elle est une personne « faible et insipide », « on se trompe royalement », laisse-t-elle tomber. « Ça n’enlève pas que je suis quelqu’un de doux et bienveillant, ni que cet album est aussi doux que les autres. »

Mais vient un moment où il faut dire « c’est assez », et ce moment est arrivé quand elle a su qu’elle allait mettre au monde une petite fille, il y a deux ans et demi.

« Je me suis rendu compte que j’avais souri et baissé la tête à des commentaires caves, que j’avais subi des mains baladeuses et des frenchs non désirés, que j’avais passé ma vie à me promener avec un hoodie sur la tête en serrant les poings. Mais ce qui est le plus révoltant encore, c’est que même si j’avais reçu une éducation féministe, je pensais que c’était tout à fait normal ! »

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Ainsi elle se demande comment réussir à briser cette chaîne dans Le paquebot, qui s’adresse à sa fille. Et mène une vraie charge contre le patriarcat dans la chanson-titre de cet album résolument féministe.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Ingrid St-Pierre lance vendredi un cinquième album de chansons originales.

Dans ma plume, je me suis donné le droit d’y aller. D’être en criss.

Ingrid St-Pierre

Encouragée par la dramaturge Alexia Burger, Ingrid St-Pierre a décidé de ne pas arrondir les angles. Et elle a fait le choix de la lucidité, parce qu’il y a « toujours bien des hosties de limites ». « Au début j’écrivais des mots durs, mais j’avais tendance à les adoucir tout de suite après. Alexia m’a dit : “mais pourquoi tu t’interdis ça ?” Ç’a été une révélation. »

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Dépouillement

Dans ce cinquième album de chansons originales, on retrouve aussi bien sûr tout ce qu’on aime d’Ingrid St-Pierre : la poésie évocatrice, le souci du détail, l’ambiance vaporeuse, les mélodies qui nous portent comme des vagues. Fine observatrice du cœur, elle s’est inspirée des lieux et des gens qui l’entourent, mais a aussi puisé en elle-même pour écrire ces chansons qu’elle portait depuis longtemps.

C’est comme si j’avais fait de l’archéologie. Je les ai juste dépoussiérées et elles sont arrivées comme ça.

Ingrid St-Pierre

C’est ainsi qu’est née cette « pluie de chansons » qui, espère-t-elle, pourra trouver écho chez les autres, que ce soit Parabellum, qui parle de l’impossibilité qu’elle a de porter sur elle-même un regard bienveillant « alors que sur les autres oui », ou Madame Croft, qui raconte son amitié magique avec une voisine de 80 ans son aînée lorsqu’elle était enfant.

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Il y a aussi Mères, immense chanson sur la maternité, une des pièces phares de l’album qui traduit avec Reines une autre facette de la puissance féminine – toutes deux sont d’ailleurs incarnées dans une saisissante interprétation piano-voix. « J’aime ça les choses sans artifice, il y a quelque chose de fort là-dedans. »

Mais même dans les pièces plus « habillées », tout l’album réalisé par Philippe Brault respire le dépouillement et la légèreté, comme si les chansons allaient s’envoler.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

« Pour moi une performance vocale, c’est être la chanson, nous dit Ingrid St-Pierre, Je ne veux pas la faire, je veux l’incarner. »

« En fait, il y a du monde en tabarouette sur cet album ! Une chorale, un quatuor à cordes, des vents, et beaucoup de guitares, je n’avais jamais expérimenté ça, j’ai capoté ! »

Mais tout est à sa place, brodé méticuleusement. Chaque note est réfléchie.

Ingrid St-Pierre

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Et il y a sa voix aussi, qui est plus grave que d’habitude. Cette nouvelle tonalité lui donne une autre vibration, une intonation qui sied bien à cette colère qu’elle porte. « J’ai l’impression que certains textes ont besoin d’être chantés par cette voix. »

Ingrid St-Pierre partira bientôt dans une tournée qui devrait s’étirer sur près de trois ans – deux ans « full band », puis en solo, pour la première fois. Et la chanteuse a hâte de faire vivre ses nouvelles chansons sur scène, de faire résonner les voix de ces multiples reines qui font changer les choses… et qui ont changé sa vie.

« Elles ont fait en sorte que j’élève ma voix aussi, elles me forgent. Ce sont des madones apostasiées comme je dis dans Le paquebot, des imparfaites grandioses. J’aspire à en être une, pour être libérée de tout ça. Et j’espère que pour nos filles, et nos fils, ce sera différent. »

L’album Reines sera offert à partir de vendredi

Reines

Chanson

Reines

Ingrid St-Pierre

Simone Records