« À un moment donné, les gens se font une idée de toi et ils ne veulent pas que tu déroges à ça », pense Garou. L’éternel tripeux, en tournée au Québec, a récemment accueilli La Presse dans sa grange d’Orford.

À bord de son Ford Bronco noir, Garou émerge du chemin forestier de trois kilomètres qui traverse son vaste terrain. Avec ses quelques couches de chemises à carreaux et ses bottes à tuyau motif camouflage, le chanteur évoque le charme studieusement rustre d’un Bruce Springsteen dans une pub de char, mais aussi un peu Félix Leclerc. « C’était un p’tit bonheur, que j’avais ramassé », entonne-t-il en pouffant.

Il y a cinq ans, le Sherbrookois devenait propriétaire de ce petit domaine en bordure du parc national du Mont-Orford et transformait sa grange en ruines en studio, où il nous accueille en s’allumant une cigarette. Il rentrait le jour d’avant de Lyon, afin d’amorcer une tournée du Québec, la première durant laquelle il reste assis derrière sa guitare presque toute la soirée, comme lorsqu’il jamme ici avec ses musiciens, une posture qui tranche avec son image de chanteur de variétés, qui l’insécurisait lui-même au départ.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Garou

« C’est clair que la perception que plusieurs ont de moi, ce n’est pas la bonne. Ce n’est pas la même en tout cas que celle qu’ont les gens qui viennent me voir en show depuis longtemps et qui savent que je pars dans plein de délires », souligne-t-il, sans amertume, sur le ton du simple constat.

J’ai toujours été un tripeux de musique, qui buzze à être avec ses musiciens. Tout ça m’est arrivé tellement vite. Avant Notre-Dame [de Paris], je ne voulais pas être chanteur, je ne voulais pas être connu. Je jouais dans les bars, je m’amusais comme un petit fou et je me disais qu’à un moment donné, je me trouverais une job qui a de l’allure.

Garou

« C’est comme si on m’avait sacré dans un hélicoptère et qu’on m’avait déposé en haut de la montagne. Là, ce que je fais, c’est que je redescends tranquillement. »

C’était au Pub 16

À 13 ans, au Séminaire de Sherbrooke, Garou se joint à Windows & Doors, un groupe dont le répertoire était essentiellement constitué de chansons des Beatles. « Sur l’heure du dîner, on allait vendre des billets aux filles du Mont Notre-Dame ou du collège Sacré-Cœur. » Il ajoute avec son sourire de bandit de grand chemin : « Il y a aussi des filles à qui on les donnait. »

Il cède à 19 ans à l’insistance de son amie Isabelle Bolduc, qui l’avait souvent entendu gratter sa sèche autour d’un feu, et l’accompagne dans un bar chansonnier de Sherbrooke, le Pub 16. L’accompagne… à reculons : le jeune homme était davantage fan de rock – il traînait surtout au Graffiti, défunt bar alternatif de la rue Wellington Sud à Sherbrooke – qu’un habitué des bars chansonniers.

Mais au cours de sa performance, le chansonnier Louis Alary, avec qui Isabelle était de mèche, invite Garou à le rejoindre sur scène. « Je ne me sentais pas bien, se souvient-il, mais j’ai commencé à jouer Layla et comme dans un film, la barmaid a appelé le patron en lui disant qu’il fallait qu’il vienne écouter ça. »

Sans réel répertoire, il amorçait 48 heures plus tard une série de cinq semaines de spectacles dans ce pub, puis deviendra bientôt, pendant six ans, chanteur en résidence au Liquor Store de Magog.

« Hi, Mister Garou, my name is George Harrison »

Tahiti. Monaco. Erevan. Michael Schumacher. Salvatore Adamo. Bono. Garou parle de ses nombreuses rencontres de par le monde avec le naturel de celui qui raconterait une partie de chasse avec son beau-frère.

Est-il encore parfois impressionné de pouvoir côtoyer tous ces grands ? « De l’étonnement, il y en a beaucoup moins. Je sais que j’ai un parcours fuckin’ chanceux. Mais comme tout s’est tellement fait vite, au départ, je n’avais pas de jauge, pas de référence. Juste pour te donner une idée, c’est quand Bono m’a dit “Guy [Laliberté, son grand ami] is the most amazing person I’ve met in my life” que j’ai compris à quel point c’est un génie. »

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Garou

Son plus beau souvenir de rencontre ? Celle de George Harrison, lors d’un party de F1 organisé par un ami de Garou dont il préfère taire le nom, quelques mois avant la mort du Beatle, survenue en novembre 2001 – il s’agirait d’une de ses dernières, sinon de sa dernière performance en public.

« Je jasais avec la fille assise à côté de moi et j’avais remarqué du coin de l’œil que personne ne parlait au monsieur assis de l’autre côté. Quelqu’un est venu parler à la fille, je me suis retourné et le monsieur m’a dit : “Hi, Mister Garou, my name is George Harrison.” On a tout de suite bondé et il m’a parlé d’affaires hyper personnelles pendant quatre heures. »

Après seulement trois chansons du spectacle des Untouchables, le groupe de R’n’B de Garou qui officiait ce soir-là, la légende s’invitait sur scène, même si elle avait juré ne pas aimer les jam sessions.

Comme on avait juste un micro, on chantait dans le même ; c’était écœurant ! Je n’oublierai jamais quand il a pris ma guitare et qu’il a mis un capo dessus et qu’il a commencé à jouer Here Comes the Sun.

Garou

« Je me pinçais, mais au final, j’ai eu du fun avec ce gars-là comme j’ai eu du fun avec Louis Alary. J’étais plus fier d’avoir tripé musicalement avec lui que d’avoir rencontré un Beatle, même si c’était moi qui faisais George dans mon petit band au Séminaire. »

Pas de calcul

Se peut-il que l’amour indéniable de Garou pour la musique soit dilué dans ses albums, qui semblent parfois conçus pour la France et que pour la France ? Le principal intéressé pense, jusqu’à un certain point, qu’on entend bien ce qu’on veut entendre.

J’avais un peu mis le frein sur le Québec, parce que chaque fois que je sortais un album, même si j’ai américanisé mon son, on a dit que ça sonnait trop français. Il y a une partie du public qui a une perception erronée de qui je suis et je ne peux pas me battre contre ça. Mais je vais continuer d’essayer d’aller les rejoindre.

Garou

La chanson UpScene, lancée en octobre 2021 et coécrite avec le Too Many Cooks Dan Georgesco, témoigne bien, dit-il, de la direction country-folk dans laquelle il souhaite s’engager.

Visionnez le clip de la chanson UpScene

Son album hommage à Joe Dassin paru à l’automne s’inscrivait déjà dans cette lignée, même si le principal intéressé sait trop bien que beaucoup l’ont reçu comme un énième disque de reprises de Garou, et non comme le fruit de son désir de folkiser le répertoire de l’interprète de L’Amérique.

C’est après avoir inséré dans son spectacle un pot-pourri de refrains de Dassin que sa maison de disques, Universal, lui a réclamé ce florilège d’interprétations dépouillées – dont un chouette duo avec le Garou original, Robert Charlebois. « J’ai dit oui à Universal, mais c’était à la condition qu’on me donne les clés et que je puisse le faire ici, avec ma gang, que j’aie un veto sur tout. »

Fini, les compromis ? « Mais des compromis, en spectacle, je n’en ai jamais vraiment fait. Je ne suis pas un gars d’album, je ne suis pas un gars de calcul, je suis un performer. » Garou éteint sa cigarette, monte dans son Can-Am et s’enfonce à toute vitesse dans sa forêt.

Garou est en tournée partout au Québec jusqu’au 21 avril

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« Ce n’est pas vrai, cette histoire-là »

S’il faut croire la légende, c’est au Liquor Store de Magog que Luc Plamondon aurait été subjugué par la voix de celui pour qui l’amour est violent par-dedans. « Mais ce n’est pas vrai, cette histoire-là, ce n’est pas arrivé de même », lance Garou en éclatant de rire.

Quelques années avant Notre-Dame de Paris, Garou avait auditionné pour une énième mouture de Starmania, rendez-vous auquel il s’était présenté avec une voix cassée, qui avait quand même charmé le parolier, mais pas au point de lui confier un rôle. « Il faut dire que je ne voulais rien savoir des comédies musicales, mais que j’y étais allé quand même, pour rencontrer Luc. »

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Garou en 1999

« Mais quand on m’a rappelé pour Notre-Dame, on a décidé que c’était plus simple de raconter que Luc m’avait découvert quand il est venu au Liquor Store. Herby Moreau est débarqué avec un kodak et ça a cristallisé l’histoire. »