Gloria Steinem est une véritable star. Ce soir, lors d'une soirée à guichets fermés au Théâtre Rialto, cette féministe de la première heure présentera son plus récent livre, My Life on the Road, un récit autobiographique dans lequel elle raconte sa vie de nomade.

En entrevue téléphonique avec La Presse, cette infatigable militante confie: «J'ai réalisé que je n'avais jamais écrit à propos de ce que je faisais le plus dans la vie, c'est-à-dire voyager.»

Dans son livre, elle avoue qu'elle n'a jamais passé plus de huit jours consécutifs chez elle. Après avoir vécu en Inde durant deux ans, elle a parcouru les États-Unis, quand ce n'était pas le monde, et n'a jamais vraiment arrêté depuis.

Son livre est l'occasion de raconter les nombreux événements historiques dont elle a été témoin. Et ils sont nombreux. Elle était sur place lors du célèbre discours de Martin Luther King Jr et elle faisait partie de l'équipe de rédacteurs de John F. Kennedy lorsqu'il a été assassiné. Sans compter qu'elle a été de tous les combats féministes des dernières décennies.

Une vedette du féminisme

Gloria Steinem est une des dernières féministes dites «de la deuxième vague» qui, comme Betty Friedan et Robin Morgan, ont ébranlé les colonnes du temple dans les années 60 et 70 en prenant la plume pour dénoncer le patriarcat et les inégalités subies par les femmes. Il y a deux ans, Steinem a d'ailleurs reçu la «médaille présidentielle de la liberté» des mains du président Barack Obama pour son travail acharné de militante.

À 81 ans, cette icône du féminisme compte parmi ses adeptes autant de femmes de sa génération que de jeunes, comme Lena Dunham, la créatrice de la série télé Girls.

Conférencière et organisatrice hors pair, Gloria Steinem a contribué à mettre sur pied une multitude d'événements, dont la première conférence nationale des femmes, à Houston, en 1977. Pas mal pour quelqu'un qui était terrorisé à l'idée de parler en public!

«Dans les années 70, nous étions peu nombreuses à prendre la parole et à nous présenter comme féministe. Nous passions pour des crazy ladies [des folles], dit-elle, un sourire dans la voix. Aujourd'hui, je constate tout le progrès qui a été fait. Le féminisme est beaucoup plus diversifié et répandu. C'est grâce à mes nombreux voyages sur le terrain et à mes rencontres avec les femmes que je peux constater à quel point les choses progressent. Si je me fiais seulement à la réalité que présentent les grands médias américains, je serais pas mal plus découragée.»

Dans l'univers de Playboy

C'est d'abord comme journaliste que Gloria Steinem s'est fait connaître, avec un reportage intitulé A Bunny's Tale. La jeune femme, alors dans la vingtaine, s'était fait embaucher comme serveuse dans un club Playboy. La publication de l'article, dans lequel elle décrivait le comportement des clients et les conditions de travail des jeunes femmes, a eu l'effet d'une petite bombe.

Six ans plus tard, en 1969, elle a signé un éditorial dans le magazine New York, «After Black Power, Women's Liberation», qui allait confirmer son statut d'incontournable du féminisme occidental. C'était juste avant qu'elle fonde le magazine féministe Ms., encore publié aujourd'hui - c'est l'actrice Amy Schumer qui est à la une du numéro actuellement en kiosque.

Que pense Gloria Steinem du retour en force du féminisme dans la culture populaire? «Une femme qui prend position en faveur de l'égalité, que ce soit Beyoncé ou n'importe quelle autre vedette, a le droit de se dire féministe, estime-t-elle. La féministe parfaite n'existe pas, nous faisons toutes notre possible. Par contre, toutes les femmes ne sont pas des féministes. Prenez Sarah Palin ou la candidate républicaine Carly Fiorina, ce sont toutes deux des antiféministes qui ne défendent pas les droits fondamentaux des femmes.»

Le pouvoir des mères

Personne ne peut accuser Gloria Steinem d'incarner un féminisme exclusif, blanc, bourgeois et hétérosexuel. Dès la première heure, et bien avant que ce ne soit la «mode», elle a été proche des communautés noire et amérindienne, toujours soucieuse de se tenir loin des discours paternalistes et colonialistes.

«Je refuse de déterminer un combat féministe qui aurait préséance sur les autres, affirme-t-elle. Tout dépend de notre expérience. Si on considère seulement les chiffres, il est certain que la violence à l'endroit des femmes ainsi que les droits liés à la procréation sont des dossiers qui touchent le plus grand nombre de femmes dans le monde. Une fois qu'on a dit ça, ce n'est pas à moi de dicter quels sont les combats qu'il faut mener au nom des femmes. Il y a autant de combats qu'il y a d'expériences féminines.»

Celle qui a d'abord milité en faveur d'Hillary Clinton en 2008 avant de se rallier à Barack Obama espère-t-elle encore voir une femme accéder à la présidence des États-Unis?

«Tout à fait, répond-elle. Le problème, c'est que la majorité des gens ont été élevés par une femme. Or, devant une femme de pouvoir, ils régressent à l'état d'enfant, car leur seul souvenir est celui de leur mère. C'est ce qui rend les choses difficiles pour Hillary Clinton.»