Imprévu au calendrier de la rentrée littéraire, ce court roman au titre assassin - Terre des cons - qui vient de paraître chez La Mèche. Patrick Nicol l'a écrit dans l'urgence pendant ce «printemps érable» qui a suscité chez lui des émotions contradictoires et une question lancinante: pourquoi en vieillissant devient-on réactionnaire?

La peur de vieillir est l'un des thèmes importants dans l'oeuvre de Patrick Nicol, auteur de Nous ne vieilliront pas et de La notaire. Cette fois, plus que la décrépitude des corps, c'est la décrépitude de l'esprit qui hante Terre des cons, titre un peu brutal, qui n'est pas sans rappeler le fameux Terre des hommes d'une autre génération.

Le narrateur de ce court roman, professeur de littérature comme Patrick Nicol, appartient à cette «génération perdue» entre boomers et cette jeunesse bouillonnante qu'on a vue dans les rues ce printemps.  «Il n'aime pas sa génération qui s'empâte, ces mauvaises publicités qu'il trouve dégradantes pour lui parce qu'elles s'adressent à lui, explique l'écrivain. En rejetant sa génération, il n'a nulle part où aller, parce qu'il se rend compte qu'il ne comprend pas la jeunesse, qui ne lui ressemble pas.»

La grève étudiante dérange ce narrateur qui se découvre embourgeoisé, maladivement cynique, aussi irrité par les manifestants que par les chroniqueurs qui l'attaquent. Plus qu'un jugement sur le monde qui l'entoure, Terre des cons est une autocritique plutôt acide. Patrick Nicol estime appartenir à une génération qui s'est toujours méfiée du lyrisme.

«Chanter l'Internationale, être solidaires, lyriques, autour de moi, c'est une des choses qu'on méprise le plus. La beauté de l'engagement, la croyance en un avenir meilleur, on laisse ça aux jeunes. On se roule dans notre bonheur matériel tout en se trouvant intelligent. C'est une situation tolérable quand il n'y a pas d'urgence, mais la grève nous a rappelé que nous sommes en situation d'urgence, que les choses progressent pendant qu'on boit du vin cher. L'un des bienfaits de cette grève, c'est qu'elle nous rappelle que nous vivons dans un monde politique, où la question de la justice sociale est importante.»

Mais voilà, que vaut la parole d'un professeur de littérature face aux dérapages des discours comme nous l'avons connu pendant des mois? Quand l'enseignement de la littérature se résume à des textes de chansons et des chroniques de journaux? Quand on a abdiqué devant la facilité d'un polar suédois et des séries télé? «Notre parole est-elle morte?» demande le narrateur à son ami Philippe dans ce long monologue qu'est Terre des cons. Il n'est pas très fier de sa posture intellectuelle, disons. «Je suis professeur, et je trouve que les profs, plus spécifiquement les professeurs de littérature, surtout de mon âge, la formation que nous avons eue n'était pas compatible avec nos origines. Le fait d'être allé à l'école nous a sortis de notre milieu, c'était une forme d'ascension sociale qui était très valorisée dans les années 50, mais aujourd'hui, c'est une ascension culturelle qui ne veut plus rien dire, comme si nous avions été trompés.»

Patrick Nicol admet avoir vécu de façon très émotive le recours aux injonctions au Cégep de Sherbrooke, même s'il n'a participé à aucune manif. Plus que le conflit lui-même, c'est le langage perverti qui l'a choqué. «Le gouvernement a décidé qu'un jour, on ne parlerait plus que de violence et d'intimidation, note-t-il. Il a réussi, parce que ce n'est pas compliqué. C'était un choix politique et délibéré de la part d'adultes responsables, un détournement volontaire du discours et cela nous a tous fait sombrer. On sent bien alors que la raison n'est plus possible, on parle à des machines, des spins, il n'y a plus d'idées. Comment parler à quelqu'un qui ne t'écoute pas?»

L'une des conclusions du narrateur de Terre des cons est qu'il lui faudrait «haïr plus». «Parce que nous sommes dans une société de la «tolérance», tout est relatif, tout le monde a des droits, il faut accepter les opinions de tout le monde. Mais on oublie qu'il y a des manipulations, qu'il y a des gens qui en profitent. Il n'y a pas que des individus qui courent vers leur bonheur, il y a des groupes contre d'autres groupes. Il faut se rappeler qu'il y a des gens qui sont nos ennemis. Quand tout va bien, la manipulation est plus douce, mais dès que ça se gâte, les armes de la guerre ne sont pas cachées très loin, et ils sont vite prêts à passer à la phase combat.»

Ce remue-méninge provoqué par la grève étudiante n'a pas rendu Patrick Nicol plus lyrique pour autant. «Je suis politiquement assez pessimiste en général. Je trouve que les forces de la facilité sont puissantes. Tout ce qui peut nous séduire et nous endormir est puissant. Le fait de jouer avec nos plus bas instincts, ça va toujours plus vite que la force de la conscientisation et de la réflexion.»

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Terre des cons. Patrick Nicol. La Mèche, 98 pages.