Avec raison, notre collègue Mario Girard s'inquiétait, dans sa chronique du 5 novembre dernier, qu'on retrouve peu de véritables biographies de personnalités québécoises. Bonne nouvelle, en voici une d'excellente tenue.

Dissident, ouvrage consacré au militant, journaliste et écrivain Pierre Vallières, est un exemple de recherche fouillée et de rédaction éclairée. Voilà un ouvrage savant, qui fait le tour complet de son sujet, qui ne le réduit pas à son passé felquiste ou à l'écriture de son best-seller, Nègres blancs d'Amérique.

Un long passage consacré à un autre ouvrage populaire de Vallières, L'exécution de Pierre Laporte, en est un bon exemple. L'auteur Daniel Samson-Legault prend le temps d'expliquer pourquoi cet opus a eu pour effet de « provoquer ou d'accélérer » le déclenchement de trois enquêtes cherchant à savoir si la police, notamment la GRC, avait infiltré et manipulé le FLQ. C'est la thèse que défend Vallières dans son ouvrage.

Évidemment, Nègres blancs d'Amérique est décortiqué de long en large et devient en soi un objet biographique. Daniel Samson-Legault s'attarde longuement à la genèse de cet ouvrage, s'intéresse aux changements apportés à la seconde édition, aux traductions, aux critiques et même aux redevances que l'auteur a obtenues.

Homme en colère, mais néanmoins très doux et posé pour ceux qui l'ont connu, journaliste, écrivain, militant pour les droits des gais et des femmes, écologiste, Pierre Vallières sera tout cela. 

Mais le fil conducteur de l'ouvrage rappelle qu'il est avant tout un écrivain politique actif et rassembleur. Un exemple frappant : en mai 1968, le spectacle Chants et poèmes de la résistance, afin de venir en aide à Vallières et à Charles Gagnon, emprisonnés après avoir été reconnus coupables d'homicide involontaire dans la foulée de l'explosion d'une bombe du FLQ. Samson-Legault raconte l'organisation, le travail dans les coulisses et la tenue de la soirée avec tellement de détails et de façon si imagée que ce passage pourrait servir de matière de base à un scénario de film.

Pour arriver à un tel résultat, la seule avenue possible est une longue recherche. Le lecteur sentira cet effort page après page. S'il fallait encore démontrer la valeur inestimable de nos archives, l'auteur y arrive ici. Samson-Legault a relu toute la correspondance entre Vallières et Claire Dupont, jeune femme qui a longuement retranscrit à la machine à écrire les passages de Nègres blancs d'Amérique écrits en prison. La lecture de ces lettres est précieuse pour cerner dans quel état d'esprit se trouvait Vallières.

Les entrevues sont aussi nombreuses et la bibliographie est costaude.

La force de cette recherche a le défaut de ses qualités : la lecture est émaillée d'une avalanche de notes en fin d'ouvrage et même d'astérisques en bas de page. 

On aurait pu sans doute rationaliser le tout, ce qui aurait permis de laisser de l'espace pour un index inexistant.

Dans la dernière ligne droite de sa vie, Vallières s'est consacré à la défense des Bosniaques dans le conflit avec la Serbie. Au péril de sa santé, il s'est même rendu deux fois à Sarajevo. Encore ici, l'auteur évoque ce passage avec beaucoup de force. Il nous fait sentir à quel point le militant mort à seulement 60 ans aura été un homme de convictions et sans compromis jusqu'à la fin. 

Cet ouvrage, contribution majeure à l'histoire politique du Québec, trouvera des détracteurs sur sa route en raison de la pluralité des interprétations des événements ici examinés. Mais n'est-ce pas le propre de tout ouvrage savant ? Qu'on s'en réjouisse !

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Dissident - Pierre Vallières (1938-1998)

Daniel Samson-Legault

Québec Amérique

504 pages

EXTRAIT

« Pour les deux représentations, ce soir, la salle est comble avec 700 personnes, et on doit en refuser au moins une centaine d'autres, qui repartent piteuses. Les journalistes ont été invités pour la deuxième, prévue pour 21 h 30, mais qui commence à 22 heures pour se terminer vers minuit et demi. Les télévisions de Radio-Canada et de CBC filment. Le spectacle a commencé par la lecture, par le "juge" Lionel Villeneuve, d'un extrait du compte rendu du procès de Pierre Vallières, personnifié par Robert Gadouas, suivi d'un appel de chacun des prisonniers politiques. C'est un succès éclatant. »