Sous le toit de la belle demeure de la famille Torres-Thompson, dans une banlieue fortunée de Los Angeles, on trouve de tout. Un joli petit bébé, Samantha. Deux garçons qui ont plus de jouets éducatifs qu'un Toys «R» Us. Scott, le mari qui s'est enrichi grâce aux jeux vidéo. Et sa femme Maureen, qui a gardé toute sa beauté de jeune femme. Bien sûr, rien de tout ça ne serait possible sans les trois employés mexicains qui veillent sur le ménage, le jardin et la cuisine. Vive l'immigration illégale sans laquelle cette ville ne pourrait fonctionner.

Mais il y a des remous sous la surface. La famille doit se séparer de Guadalupe et Felipe pour faire des économies. Le marché des vidéos ne sourit plus à Scott. Il est obligé de tondre le gazon lui-même. Malgré son nom de famille mexicain, il n'en est pas capable. De la maison, Araceli le regarde se battre avec la tondeuse, l'oeil triste. Elle est restée seule à la demeure pour cuisiner, faire le ménage, élever les enfants. En plus, elle avait un faible pour Felipe le jardinier et ses biceps de cuivre.

Un proverbe

Les Russes ont un proverbe: «Quand la pauvreté entre par la porte, l'amour sort par les fenêtres.» Difficile de parler de misère dans le cas des Torres-Thompson, mais sous la pression économique, le couple commence à se défaire. Un soir, avec Araceli comme témoin, Scott ira un peu trop loin, et sa femme se retrouve sur le derrière, dans les ruines d'une table à café en verre.

À partir de ce moment d'égarement, tout fout le camp. Scott prend la porte pour vivre sa douleur ailleurs. Forte de son statut nouvellement acquis de victime, Maureen se réfugie dans un spa de luxe dans le désert californien avec son bébé Samantha. Mais les deux garçons, Keenan et Brandon? Araceli est seule avec eux.

Le temps passe sans un mot des parents. Araceli se décide. Avec la photo du père de Scott à la main et une vieille adresse, elle part à la recherche du Señor Torres, le grand-père des deux petits garçons qui sont, pour elle, aussi familiers que des Martiens.

Livres de science-fiction

Que les aventures commencent! Les quartiers de Los Angeles s'étant détériorés, Araceli se retrouve dans des situations qui ressemblent drôlement aux livres de science-fiction et de fantaisie que lisent les garçons. Des enfants esclaves, des émeutes, des gangs de rue, des lynchages (presque!) - Los Angeles a tout pour plaire à ces garçons qui voient le monde comme un jeu vidéo.

Bien sûr, quand les parents rentrent après leurs fugues respectives, ils appellent la police: la femme de ménage a kidnappé leurs enfants! S'ensuit une comédie sociale, une guerre des images entre Araceli, innocente mais coupable parce que mexicaine, et les Torres-Thompson, coupables mais présumés innocents parce qu'américains. L'auteur Héctor Tobar, de famille guatémaltèque (donc, du côté d'Araceli), livre un brillant portrait social de L.A. Mais plus important, il crée un beau personnage avec Araceli, forcée d'abandonner l'École des beaux-arts de Mexico parce qu'elle ne pouvait payer les tubes de peinture - d'où les sculptures faites de couteaux et de fourchettes en plastique dans sa chambre, les restes des fêtes d'enfants de ses employeurs. La critique sociale n'a jamais été si charmante et si émouvante.

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Printemps barbare. Héctor Tobar. Traduit par Pierre Furlan. Belfond, 469 pages.