Ses couleurs sensibles illuminent la série Magasin général. Or, François Lapierre est plus qu'un habile coloriste. Lui-même auteur et dessinateur, il réinvente l'image qu'on a de la Nouvelle-France et du Québec d'antan en puisant dans les contes et légendes de notre vaste territoire. Son album Chroniques sauvages -Teshkan est en lice au prix Bédélys 2011.

Les absents n'ont pas toujours tort. François Lapierre n'a pas assisté au dévoilement des finalistes des prix Bédélys 2011, le 31 janvier dernier. Son album Chroniques sauvages - Teshkan a néanmoins été cité parmi les cinq titres qui peuvent aspirer aux grands honneurs auprès, entre autres, de Paul au parc de Michel Rabagliati et du Fond du trou de Jean-Paul Eid.

L'artiste, qui gagne principalement sa vie comme coloriste, trouve «stimulant» d'avoir été retenu parmi les Rabagliati, Eid, Michel Hellman (Mile-End) et Fred Jourdain (Le dragon bleu, adapté de la pièce de Robert Lepage et Marie Michaud). «C'est de très haut niveau, constate-t-il. Je suis content de faire partie de cette gang-là.»

François Lapierre a publié deux albums l'an dernier chez Glénat Québec: Chroniques sauvages - Teshkan (scénario, dessin, couleur) et La bête du lac (scénario et couleur, le dessin est de Patrick Boutin-Gagné). Radicalement différentes au plan esthétique, ces deux oeuvres s'appuient sur un même goût pour les légendes ancrées dans nos quelques arpents de neige.

La bête du lac constitue une intéressante variation sur le thème du monstre marin. Pensez à un Memphré astucieux qui userait d'un appât emprunté à la mythologie grecque: une sirène. Teshkan relate pour sa part un combat à mort entre un autochtone et un colon à l'époque de la Nouvelle-France.

Ce n'est pas par exotisme - ni parce que son éditeur est une succursale d'une grande maison européenne - que François Lapierre explore ce terroir imaginaire. Les contes, la mythologie et la cosmogonie le fascinent depuis longtemps. Il dit aussi avoir de l'admiration pour les essais de l'historien, philosophe et mythologue Mircea Eliade.

«La Nouvelle-France est un univers idéal pour le conte, fait-il valoir. On peut faire surgir n'importe quoi de la forêt. J'aborde le territoire comme une plateforme créative, un bel espace de liberté. Je ne suis pas historien, mais je peux rendre ce monde-là crédible.»

Complice de Loisel et Tripp

Chroniques sauvages n'est pas la première incursion de François Lapierre en territoire autochtone. Sa série humoristique Sagan-Nah, publiée chez Soleil Productions au milieu des années 2000, était aussi campée en Nouvelle-France. L'aventure n'a malheureusement duré que le temps de deux albums. Une déception que le bédéiste a combattue en imaginant le duel au coeur de Teshkan.

La mise en place de ce nouvel univers, empreint de mystère et de tragédie, s'est accompagnée d'un changement de cap radical au plan visuel. De la palette de couleurs chaudes et franches de Sagah-Nah, le bédéiste est passé à des tons plus froids (l'action se déroule en hiver) et à une approche plus texturée. Ses personnages anguleux semblent ainsi intégrés dans des décors vivants.

«J'aime mieux un dessin épuré avec plus de matière et d'ambiance», expose François Lapierre. Sa préférence va aussi aux atmosphères qui évoquent les tableaux à l'acrylique (son passé d'artiste peintre, assurément) plutôt qu'à la transparence de l'aquarelle. «Le dessinateur que je suis se fie énormément au coloriste que je suis...»

Il n'est pas le seul. C'est à lui que Loisel et Tripp font confiance pour mettre en couleurs leur série à succès Magasin général. François Lapierre doit d'ailleurs à sa sensibilité chromatique le fait de gagner sa vie uniquement dans le monde de la bande dessinée depuis près d'une décennie.

Travailler pour les autres a évidemment un impact sur le temps qu'il peut consacrer à ses projets personnels. «Je pense à mes scénarios en faisant de la coloration, dit-il toutefois. Ça me donne du recul.» En plus de Magasin général, il travaille à deux autres séries de Régis Loisel (Avant la quête et Le grand mort) et, depuis peu, sur le nouveau cycle de Troisième testament.

Passer des heures les yeux rivés sur le travail des autres lui permet également d'étudier leur façon de découper les planches et de mettre en scène leurs univers. Appelons ça de la formation continue. «Ça me fait travailler avec des gens de très haut niveau sans que je l'aie demandé», conclut-il.