Faut-il y voir un signe des temps? Beaucoup des bandes dessinées arrivées récemment sur les tablettes brillent par leur style irrévérencieux, voire provocateur.

Prix du meilleur album au dernier festival international d'Angoulême, Pinocchio, de Winshluss, emprunte très, très librement au classique de Carlo Collodi. Ici, le pantin de bois devient un robot d'acier, véritable arme de destruction massive sortie du cerveau malade d'un Geppetto prêt à tout pour la gloire. Dans cet album quasi muet, Jiminy Criquet est transformé en Jiminy Cafard. Les autres personnages de contes pour enfants, invités pour l'occasion dans cet univers trash, perdent aussi de leur enrobage sucré et coloré à la Walt Disney. Les sept nains de Blanche-Neige en pervers sado-maso, vous y aviez déjà pensé?

 

Côté pinceaux, Winshluss ne lésine pas sur les rouges et le noir pour créer son petit monde insolent, où meurtre, viol, carnage et autres horreurs se succèdent sur près de 200 pages. Une véritable tragicomédie sur l'acide. Le récit, découpé en épisodes, est illustré tantôt de noir et de blanc, tantôt de grandes pages couleurs à donner froid dans le dos. Un album foisonnant, inclassable et jouissif, à ranger loin de la portée des enfants. Pour les grands, un avertissement: le prix a de quoi faire peur (60$).

Album coup-de-poing

L'Italien Gipi - aussi primé à Angoulême il y a trois ans pour ses Notes pour une histoire de guerre - prend cette fois une tangente autobiographique. Dans Ma vie mal dessinée, il raconte sans pudeur et avec beaucoup de dérision son adolescence turbulente à «fumer tout ce qui se fume». Ses amitiés déchirées, ses angoisses amoureuses, son zizi qui souffre d'un mal mystérieux... Tout y passe. Du réalisme cru, Gipi passe par moments par le fantastique, le rêve. Le délire aussi.

Le dessin noir et blanc semble avoir été jeté sur la page dans un état d'urgence, de fébrilité. Puis, au milieu de cette catharsis, la couleur explose. Gipi ne rêve pas en noir et blanc. Un album coup-de-poing, qui nous hante longtemps, livré par un artiste infiniment doué.

Plus classique dans la forme et le fond, O'Boys de Philippe Thirault et Steve Cuzor, est inspiré du roman de Mark Twain, Les aventures de Huckleberry Finn. Une couche de vernis en moins. Ici, le Mississippi sent la pourriture. Les hommes sont lâches, violents. Les comptes se règlent dans le sang et celui des Nègres ne vaut pas grand-chose. Seule l'amitié improbable entre un jeune vagabond et un esclave en fuite est porteuse d'espoir. L'amitié et le blues, qui sert de trame sonore au voyage, sinueux comme les méandres du grand fleuve.

Le trait de Cuzor, âpre, donne un éclairage parfait à ces hommes du Sud des États-Unis, dans les années qui ont suivi la Grande Dépression. Une aventure racontée et illustrée avec une belle intensité. Vivement le tome 2.

Pinocchio

Winshluss

Éditions requins Marteaux, 60$

****

Ma vie mal dessinée

Gipi

Futuropolis

*****

O'Boys, tome 1: Le sang du Mississippi

Philippe Thirault et Steve Cuzor

Dargaud

***

 

D'AUTRES NOUVEAUTÉS SUR LES TABLETTES:

> Des tondeuses et des hommes, de Jean-Paul Eid, La Pastèque

Le retour de Jérome Bigras, grand aventurier du split level et ex-star de Croc.

> Jazz Maynard (Tome 3. Envers et contre tout) de Raul et Roger, Dargaud.

Une finale explosive pour la trilogie barcelonaise.

> Sept prisonniers, de Mathieu Gabella et Patrick Tandiang, Delcourt

Un thriller de science-fiction qui marque la fin d'une série de grande qualité.

> Animal'z, d'Enki Bilal, Casterman. Un nouveau récit futuriste signé par une des figures de proue du neuvième art. Le dérèglement climatique sert de trame de fond à cette histoire à l'ambiance cataclysmique.