Jeudi, l'Académie française choisira un nouvel immortel pour occuper le fauteuil de l'écrivain Michel Déon, disparu en 2016. Pascal Bruckner a choisi de se porter candidat, tout comme le romancier, essayiste et critique musical Benoît Duteurtre.

Pascal Bruckner affirme qu'on lui suggère depuis bien des années de poser sa candidature à l'Académie française. L'été dernier, il a fini par s'y résoudre. Le défi l'intéresse. 

«Le moment est venu, dit-il. Je vais avoir 70 ans. Je ne suis plus un perdreau de l'année! Je pense qu'il y a des choses à faire à l'Académie française pour protéger la culture française qui a tendance à être attaquée de l'intérieur et de l'extérieur.»

L'écrivain estime qu'aujourd'hui, la culture et la langue françaises sont objets de discrédit et de désaffection.

«Au Québec, vous le savez bien, puisque vous vous battez pour maintenir un îlot de francité au milieu d'un océan d'anglais. Ma candidature a ce sens-là. Il faut aller à l'Académie française pour résister, mais pas pour flagorner. Elle ne doit pas être un mausolée, mais un Fort Alamo!»

Quand on demande à Pascal Bruckner qui défend mieux le français, l'Académie française ou le Québec, il répond avec adresse que ce sont deux combats complémentaires. 

«Ceux qui défendent le mieux le français, ajoute-t-il, ce sont tous les locuteurs, notamment en Afrique qui garde dans la langue française des saveurs et des richesses oubliées en France où le français est très pauvre. Il faut ouvrir le français aux influences, qu'elles viennent de Suisse, de Wallonie ou du Québec. Il y a 280 millions de francophones dans le monde, alors c'est une cause à défendre. À condition de garder un esprit ouvert et non pas un esprit de garde-barrières.»

Succéder au journaliste et romancier Michel Déon, dans ce huitième fauteuil de l'Académie jadis occupé par Jean Rostand, cela signifierait pour Pascal Bruckner de faire l'éloge de son prédécesseur comme c'est l'usage. Ce qui serait tout un défi pour lui, Michel Déon ayant eu les mêmes idées d'extrême droite que le père de Pascal Bruckner, pronazi et antisémite, tel que l'écrivain l'a raconté dans Un bon fils

«Je ne suis pas encore élu, dit-il, alors je ne peux pas en parler. Mais vous savez, Alain Finkielkraut a dû faire l'éloge de Félicien Marceau et il s'en est très bien sorti. Ce sera un exercice. Le vrai défi est d'abord d'entrer à l'Académie.»

Le mouvement #meetoo

Autre sujet délicat, Pascal Bruckner a un point commun avec Benoît Duteurtre, l'autre candidat à l'immortalité. C'est le fait d'avoir signé, en 2013, le Manifeste de 343 salauds qui prenait le parti des hommes ayant recours aux services de prostituées.

Depuis cinq ans, et le phénomène #metoo, les vues de Bruckner ont changé et il regrette d'avoir eu l'air d'un «réac» en signant ce manifeste. 

«Ce jour-là, on aurait mieux fait de se casser une jambe, dit-il. Je regrette de l'avoir signé, car c'est une connerie. Je l'avais fait par amitié pour Beigbeder, mais c'était une erreur. La prostitution est une cause complexe. Quant à #metoo, je suis pour qu'on punisse les auteurs de viols et d'agressions. Mais comme le dit la psychanalyste Élisabeth Roudinesco, la délation médiatique ne doit pas se substituer au travail de la justice. L'américanisation du débat en France est très inquiétante.»

Pascal Bruckner en bref

Un livre marquant: Effondrement, de Jared Diamond (sur la disparition des grandes civilisations) 

Une personne inspirante: Denis Mukwege (gynécologue congolais engagé contre les mutilations génitales, colauréat du prix Nobel de la paix 2018) 

Sa plus grande peur: «Ne plus avoir d'inspiration.»

Son ambition actuelle: «Continuer jusqu'au dernier jour. En dépit des drames et des tragédies, des risques et des anxiétés. Car la vie est une aventure extraordinaire.» 

Son meilleur souvenir de romancier: «Quand j'ai eu le prix Renaudot pour Les voleurs de beauté. À cause du hasard d'une idée de départ qui fut transformé en nécessité.»