La grande dame du showbiz québécois propose (enfin) sa biographie. Écrite par sa fille, la comédienne Danièle Lorain, Quand t'es née pour un p'tit pain a été lancée mardi soir au Musée d'art contemporain de Montréal. Retour sur une vie et une carrière bien remplies.

« Tu te farmes les yeux pis tu y vas. Il faut que tu grimpes, il faut que t'avances... » 

En exergue de sa biographie, Denise Filiatrault fait siennes ces paroles de la chanson de Michel Tremblay, qu'elle a créée dans Demain matin, Montréal m'attend, en 1970. Chaque fois qu'elle l'entonnait, jadis, elle ne pouvait retenir ses larmes et ses sanglots.

Pour la simple raison que La complainte de Lola Lee résume, en quelques couplets, la vie, la carrière et la personnalité de Denise Filiatrault. Grimper. Foncer. Avancer... Persévérer, dans un milieu où l'on nous juge sans cesse. Voilà le carburant de Denise. Mais aussi une armure, pour mieux cacher son insécurité chronique. 

Le fil rouge de la carrière de Denise est un fil de fer, sur lequel la « fantaisiste » s'est tenue en constant équilibre. 

Durant 70 ans. De son adolescence, où elle défie son père policier pour travailler tard le soir dans les cabarets de la Main, tenus par la pègre, à la direction artistique du Rideau Vert, le plus vieux théâtre d'expression française au Canada, Denise poursuit sa longue route. Envers et contre tous.

Artiste polyvalente, elle a appris son métier sur le tas, à travers ses rencontres et ses mentors : Jacques Lorain (son premier amour), Donald Lautrec, Gilles Carle, Michel Tremblay et André Brassard, entre autres. Denise, l'interprète, est une éponge : dès qu'on crie « Action ! », l'actrice distille naturellement la vérité, les émotions brutes et les zones sombres de l'âme humaine. Comme plusieurs grandes actrices, un jour, elle se lasse de jouer. Pour faire autre chose. Elle touche à l'écriture, à la mise en scène, aux comédies musicales (sa passion), à la réalisation de films, etc. 

INSAISISSABLE DENISE !

À la fin des années 70, l'actrice fatiguée se lance dans la restauration ; elle qui n'a JAMAIS eu le sens des affaires devient propriétaire de restos à la mode. Mais pourquoi donc ? « Par amour, dit-elle en entrevue. J'aimais follement un cuisinier mexicain qui travaillait 18 heures par jour au restaurant. Je suis devenue restauratrice pour passer du temps avec mon chum. »

Elle avoue avoir souvent aimé. De très beaux hommes et « très brillants » hommes, de Donald Lautrec à Trudeau père. Or, Denise va aussi se lasser de l'amour. Elle cesse (à 55 ans !) de croire au prince charmant : « J'étais terriblement naïve », réalise-t-elle aujourd'hui. 

On aurait souhaité que Denise s'ouvre davantage sur ses failles et sa vulnérabilité dans sa biographie. Le récit s'éparpille souvent et manque de profondeur.

Comme si on voulait tout condenser en 250 pages, sans chercher la couleur, la nuance, le ton juste pour tracer un portrait d'ensemble... Insaisissable Denise !

Il y a plusieurs pages sur ses restaurants et presque rien sur la direction du Rideau Vert. Deux pages sur la création des Belles-soeurs, mais des dizaines sur son « enfance dorée », en tant que fille unique et très aimée de ses parents, qui n'a rien d'exceptionnel. On s'en doutait, elle n'évoque presque pas Dominique Michel. Leur inimitié est devenue un mythe, ça se voit et ça se lit ; pas seulement entre les lignes. Toutefois, Denise affirme dans son livre : « Ma partenaire de Moi et l'autre est la plus grande comique que le Québec ait connue. Sans avoir encore été remplacée. » 

Finalement, cette biographie lui ressemble. Avec ses qualités et ses défauts, ses souvenirs et ses oublis. Bien sûr, Denise Filiatrault est un paradoxe vivant. Elle a besoin d'attention, mais déteste s'épancher sur ses états d'âme. Elle cherche le repos, tout en ayant peur de l'inaction. Elle est branchée sur le public, mais est faite, au fond, pour la solitude d'une enfant unique et adoptée. 

Finalement, tout au long de sa vie, Denise aura tout fait pour fuir le diable qu'on appelle l'ennui. Et, mon Dieu, elle a bien réussi !

Quand t'es née pour un p'tit pain

Denise Filiatrault et Danièle Lorain

252 pages

Libre Expression

En librairie

EXTRAIT : 

« Dès cet instant, je savais que j'étais une actrice, et il fallait que le monde entier le sache ! En sortant de la loge, je prenais bien soin de laisser un peu de fard sur mon visage, près de la racine de mes cheveux, pour que dans le tramway du retour à la maison, les passagers comprennent à qui ils avaient affaire. Et je m'arrangeais pour en laisser paraître encore un peu le lendemain matin pour que les élèves de l'école, où je faisais ma huitième année, le remarquent. »

Image fournie par Libre Expression

Quand t'es née pour un p'tit pain