«Si l'abeille disparaissait de la surface du globe, l'homme n'aurait plus que quatre années à vivre», estimait Einstein. Pour s'en convaincre - et aussi s'émerveiller devant cet insecte doté de quatre intelligences -, on ouvre Les abeilles et la vie, magnifique texte de Didier van Cauwelaert, superbes photographies de Jean-Claude Teyssier. Un ouvrage qui se lit comme un roman, pour raconter une épopée qui pourrait tourner à la tragédie, expliquent chacun à leur façon Teyssier et Van Cauwelaert.

Photographe inspiré du beau livre Les abeilles et la vie, Jean-Claude Teyssier est né dans le sud de la France, en pleine campagne, entouré d'insectes. Passionné par ces tout petits êtres vivants, il devient photographe naturaliste: ses oeuvres illustrent magazines, livres, expositions, etc., partout dans le monde.

Certaines de ses photos figurent ainsi dans le beau livre Des forêts et des hommes (La Martinière), traduit en 30 langues et devenu une exposition internationale.

Installé désormais au Québec, Jean-Claude Teyssier retourne régulièrement sur sa terre natale, dans le beau jardin de sa mère: «Je l'ai transformé pour y attirer des insectes, dit-il en souriant, elle s'inquiète un peu pour ses légumes!»

Il photographie constamment tous ces «plus petits que soi» dont nous avons un besoin absolument vital. En 2008, ses photos illustrent notamment le livre Le monde des insectes (éditions Michel Lafon), dont les textes sont de... Jean-Henri Fabre, l'un des plus importants entomologistes qui soient. Que Fabre soit né en 1823 et mort en 1915 ne change rien à la force et à la pertinence du livre!

La piqûre

Quand, début 2013, l'éditeur Michel Lafon approche de nouveau Teyssier, cette fois pour lui proposer d'illustrer un livre sur les abeilles, il accepte immédiatement. Et quand Lafon contacte ensuite l'auteur Didier van Cauwelaert pour lui offrir d'en écrire le texte, ce dernier accepte après avoir vu des photos que Teyssier avaient déjà publiées sur le sujet dans la revue Nature sauvage: des photos d'abeilles et d'apiculteurs, réalisées au Québec! «Ça m'a fait plaisir, c'est une star, van Cauwelaert», lance avec humilité le photographe.

Dans Les abeilles et la vie, les photos de Teyssier sont admirables à plus d'un titre. Technique, oui, mais aussi... humain: c'est comme si on était soi-même une abeille parmi nos semblables: «C'était justement ce que je voulais faire: regarder le monde comme le fait une abeille. Être l'abeille.»

Pour parvenir à ce résultat, il a fallu que le photographe trouve un apiculteur prêt à l'épauler pendant des mois. Prêt à accepter qu'une de ses ruches soit démontée puis remontée pour permettre d'y installer du matériel photographique. «J'en ai rencontré plusieurs. Mais il y en a eu un seul qui était sympa, qui avait une gueule et la volonté de collaborer entièrement à un tel projet. C'était Joseph Borgnis.»

L'apiculteur

«Alors, les filles, ça va? Vous avez bien travaillé?» C'est en ces termes que l'apiculteur français Joseph Borgnis s'adresse tous les jours aux milliers de petites résidantes de son rucher à Saint-Nazaire-de-Valentane, dans le Tarn-et-Garonne. «C'est aussi un poète et il fait du théâtre, explique le photographe. Mais surtout, il aime ses abeilles d'amour. Il a pour elles le plus grand respect. Il ne se fait presque jamais attaquer, Joseph.»

Pendant près de six mois, Teyssier et Borgnis ont travaillé côte à côte, tous les jours («pas de dimanche pour nous!»), sans relâche. Le photographe a pu réaliser ainsi quelque 7000 photos, dans des conditions parfois difficiles: «Le frelon asiatique, par exemple, qui kidnappe littéralement les abeilles dans les ruches, a une piqûre extrêmement douloureuse. Un ami apiculteur avait déjà été piqué une fois. Afin que je puisse photographier un nid de ces frelons asiatiques, il me l'a tenu et il a été piqué une seconde fois, il a failli en mourir: il y était devenu allergique.»

Borgnis a néanmoins continué à travailler avec Teyssier. Parce qu'il est inquiet pour les abeilles, qui meurent de plus en plus. Or, notre sort dépend de celui des abeilles... alors que le leur ne dépend pas nécessairement de nous.

«Sans faire d'anthropomorphisme, je dirais que les abeilles nous «connaissent «mieux maintenant, dit Teyssier, et qu'elles trouvent des solutions pour s'adapter, notamment en devenant plus résistantes et plus agressives. Puisque nous leur faisons violence, elles deviennent violentes à leur tour».

Il n'est peut-être pas trop tard pour apprendre à cohabiter pacifiquement...

Les abeilles et la vie, Didier Van Cauwelaert et Jean-Claude Teyssier, Michel Lafon, 160 pages.