Pourquoi que je vis, magnifique poème blond-bleu de Boris Vian, figure dans le spectacle Trois poètes libertaires du XXe siècle: Prévert, Vian, Desnos. Le comédien français Jean-Louis Trintignant le présentera, du 23 au 25 septembre, au Festival international de la littérature, accompagné de deux musiciens, d'un fauteuil et de quelque 30 autres poèmes...

Au bout du cellulaire, la voix de Jean-Louis Trintignant, 81 ans, est teintée d'un zeste d'accent de son Sud natal, qu'on n'entend jamais au cinéma. Le timbre, lui, est bel et bien le même: sensuel, dangereusement jeune, marqué d'une pointe de grenu, c'est le timbre du comédien des films-cultes Z, Un homme, une femme, Le conformiste, Rouge... Et, tout récemment, du long métrage Amour, du réalisateur Michael Haneke, Palme d'or du dernier Festival de Cannes (à l'affiche au Québec à l'hiver 2013).

«C'est un très beau film, Amour, dit avec chaleur Trintignant, je suis très content de l'avoir fait. Mais ça ne me plaît pas, faire du cinéma, je ne veux plus en faire. Je ne veux plus faire que du théâtre. Ça me va très bien, qu'on parle uniquement de poésie, vous et moi.» Car quand il dit théâtre, Trintignant dit d'abord poésie, une des passions de sa vie.

Depuis 2000, l'homme aux 130 films conçoit en effet des spectacles où les vers et les notes s'étayent et se répondent: Aragon sur fond de musette triste, Apollinaire doublé de Satie et de silence... Cette fois, appuyé par le souffle d'un accordéon (celui de l'exceptionnel jazzman et directeur musical Daniel Mille) et la vibration d'un violoncelle (tenu par un Grégoire Korniluk au look métal), Trintignant vient dire beaucoup de Jacques Prévert (1900-1977), pas mal de Boris Vian (1920-1959) et un peu de Robert Desnos (1900-1945).

«Tous trois étaient des gens très sensibles, qui parlaient de la mort autrement que de façon triste et accablée, explique le père toujours endeuillé de Marie (Trintignant, morte tragiquement en 2003). Trois personnes assez timides dans la vie, reprend-il, un peu alcooliques, des amoureux, et même des amoureux malheureux, comme moi...

«Mais ce qui les unit davantage tous trois, précise-t-il, c'est plutôt le politique: c'est l'anarchisme, ce sont des libertaires. C'est une idée plus importante qu'on ne le croit, l'anarchie, une idée dont on a besoin. Ce n'est pas de se désintéresser de tout, l'anarchie. C'est même exactement le contraire: c'est être sensible à tout, et particulièrement aux petites gens, avec amour et tendresse. Et parfois de façon ambiguë.»

Comme l'ont été, terriblement, les trois poètes: «Vian a écrit un petit poème pour dire comme il aimait les femmes, comme il aimait sa femme - moi, dit Trintignant en aparté, je trouve toujours cela un peu con, les hommes qui aiment LES femmes, mais bon... Il a donc écrit ce petit poème, que je ne fais pas sur scène, mais qui dit: «Je n'ai jamais rencontré une femme qui me fasse regretter d'être un homme». C'est ambigu, vous ne trouvez pas? Ça pourrait vouloir dire que les hommes sont mieux que les femmes. Mais ça n'est pas ça du tout: c'est pour dire que le bonheur d'être un homme, c'est de pouvoir rencontrer une femme.»

Paroles et images

Sur scène, assis tel un enfant aux cheveux blancs, Trintignant ne lit pas, ne récite pas non plus, il raconte des histoires. On pourrait même dire qu'il se fait de petits films, non? «C'est très juste, répond-il, ces trois poètes parlent en effet en images, c'est très XXe siècle, ça, l'image. Leurs poèmes sont comme de petits scénarios, particulièrement Prévert, qui était d'abord un grand scénariste avant d'être un grand poète.»

«Ces trois-là, comme poètes, ce n'est pas aussi bien qu'Apollinaire, ou Rimbaud, ou Baudelaire, ajoute Trintignant avec une franchise souriante. Mais c'est quand même très, très bien. C'est même magnifique, parfois. Prévert dit, par exemple: "Ne parle que des belles choses/pour ce qui est de la peine/pas la peine d'en parler." On comprend tout, c'est simple. Et c'est toujours vrai. Comme son poème sur les sans-papiers, Étranges étrangers, que je fais sur scène, très peu connu et qui est toujours d'actualité, alors qu'il a été écrit en 1955...»

Trintignant et ses deux comparses ont déjà présenté ce spectacle une cinquantaine de fois, il fait même l'objet d'un album (voir notre encadré): «On me demande parfois comment je fais pour apprendre tous ces poèmes - car j'en apprends des nouveaux, j'en abandonne d'autres, je suis justement en train d'en apprendre pour les représentations au Québec. Et je réponds que je n'ai pas de mémoire, mais que ces textes sont tellement pleins d'images que je vois les poèmes! Parfois, j'esquinte un vers - pas souvent, tout de même, rassure-t-il en riant. Mais quand le mot ne me vient pas, eh bien! je le remplace par un autre. Du moment que je vois des images. Du moment que je n'apprends pas les mots comme on apprend des chiffres...»

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Trois poètes libertaires du XXe siècle: Prévert, Vian, Desnos, au Théâtre Outremont, demain, lundi et mardi, 20h.

Info: festival-fil.qc.ca