Six ans après Le bien des autres, Jean-Jacques Pelletier met enfin la touche finale à sa série «Les gestionnaires de l'apocalypse» avec La faim de la terre, en librairie depuis hier. Une brique de plus de 1600 pages qui réconfortera les plus cyniques et fera surtout plaisir aux fans de l'auteur québécois : s'il reste un formidable observateur de l'actualité, Jean-Jacques Pelletier n'a rien perdu de sa plume comme auteur de polar.

Un scandale de l'eau éclate à Montréal, la corruption est généralisée, le crime organisé règne en roi et maître sur la ville... Rassurez-vous, vous n'êtes pas en train de lire un article d'André Noël dans La Presse. Vous êtes bien dans les pages Lectures et il s'agit de fiction....

Sauf que Jean-Jacques Pelletier prend un malin plaisir à construire ses romans en s'inspirant de l'actualité d'ici et d'ailleurs, au point de la devancer parfois.

«C'est vrai que je ne rends pas la tâche facile à mes lecteurs, affirme-t-il. Mais en même temps, le plus beau compliment que des lecteurs m'ont fait, c'est de me dire qu'ils ne regardaient plus les bulletins d'information de la même façon après avoir lu mes livres.»

Pelletier n'a jamais hésité en effet à aborder dans ses romans des thèmes complexes et à recoller des morceaux qui, au premier regard, n'ont aucun lien entre eux.

Les événements de La faim de la terre se déroulent quelques années après ceux du Bien des autres. À Montréal, l'inspecteur-chef Théberge est aux prises entre autres avec quelques cadavres, de nouveaux attentats terroristes, un scandale de l'eau et des médias qui le harcèlent constamment. Il reçoit l'aide inattendue d'un écrivain obsédé par l'environnement. L'Institut, lui, fait dorénavant équipe avec le Consortium face à un ennemi redoutable qui veut plonger le monde dans le chaos.

En trame de fond, les bons vieux dadas de l'ex-prof de philosophie: la mondialisation, le crime organisé, la corruption, l'économie, la gestion financière, le rôle des médias, les jeux de pouvoir et les enjeux géopolitiques, rien de moins! L'auteur y ajoute un soupçon de terrorisme environnemental, un peu d'humour et vous obtenez plus de 1600 pages qu'on dévore à un rythme d'enfer.

Les plus cyniques y trouveront assurément leur compte. Tout va mal ou presque dans La faim de la terre et les méchants, cette fois-ci, ne font pas nécessairement une mauvaise lecture des problèmes du monde occidental. «C'est vrai que les terroristes dans mon roman font le bon constat. Le problème, c'est qu'ils choisissent la mauvaise solution.»

On devine ici l'inquiétude de l'auteur: et si le cynisme ambiant dans la réalité devenait tel que les gens optaient eux aussi pour les mauvaises solutions à de vrais problèmes?

Et la théorie du complot? Disons que les amateurs de complots en tous genres qui lisent les romans de Jean-Jacques Pelletier au premier degré seront servis à souhait avec La faim de la terre. «La fiction, c'est un moyen pour apprivoiser ce qui nous fait peur dans un univers contrôlé. C'est une simplification rassurante de la réalité. Je ne crois pas à la théorie du complot, mais il ne faut pas non plus être naïf. Il y a des intérêts en jeu et des logiques du pouvoir partout.»

Caisses de retraite 101

Si Jean-Jacques Pelletier a mis autant de temps à accoucher de son dernier roman, c'est qu'il a été occupé par la rédaction d'un autre ouvrage, tout à fait sérieux celui-là: La gestion financière des caisses de retraite. La question l'intéresse depuis le début des années 80 alors qu'il participe aux négociations des conventions collectives dans le secteur public. Comme c'est lui le petit nouveau, il hérite du dossier qui n'intéresse personne: les caisses de retraite. Il publiera en 1994 un premier livre sur la question.

«J'ai toujours eu le goût des chiffres, et j'ai besoin de comprendre le monde, souligne Pelletier. Et puis, l'argent, c'est plus que de l'argent, il y a toute sorte d'enjeux géopolitiques derrière la gestion des caisses de retraite.» Le sujet l'intéresse à un point tel qu'il siège depuis plusieurs années à de nombreux comités de retraite et de placement.

Cette première incursion dans les négociations entre les syndicats et le gouvernement du Québec lui permettra aussi de voir de très près les coulisses du pouvoir et le mode de fonctionnement des organisations, un autre de ses centres d'intérêt. Jean-Jacques Pelletier affirme que cette série, qui a vu le jour en 1987 avec L'homme trafiqué, prend fin avec ces deux tomes de La faim de la terre.

Il ne manque cependant pas d'inspiration pour d'autres romans; le prochain est d'ailleurs presque terminé. Et si jamais il devait être frappé du syndrome de la page blanche, il n'aura qu'à lire André Noël pour trouver un nouveau filon...

________________________________________________________________________________________

* * * 1/2

LA FAIM DE LA TERRE. Jean-Jacques Pelletier. Alire, 1596 pages, 19,95 $ par tome.