Assemblés par Pascale Galipeau, fille de Pauline Julien, des «fragments de correspondance amoureuse» écrits entre 1962 et 1993 par Pauline Julien la chanteuse et Gérald Godin le poète-politicien viennent de paraître. Le tout réuni sous un joli titre: La renarde et le mal peigné, qui révèle une histoire d'amour digne de Roméo et Juliette, si ceux-ci avaient pu vieillir ensemble.

«Ma Peau», «chère Péji», «ma tite, tite Pô», «Paolina», «mon beau petit fennec d'amour», «ma petite conne» ou simplement «mon amour de ma vie»: ce ne sont là que quelques-unes des expressions qu'utilise Gérald Godin au début de ses lettres à sa Pauline.

 

On ne se le cachera pas: il y a quelque chose qui tient du voyeurisme quand on lit cette correspondance amoureuse - en fait, quand on lit toute correspondance amoureuse. Celle-ci, parfois impudique, parfois ravagée, souvent exultante, a l'étrange mérite de nous révéler une histoire d'amour peu commune, du moins dans les années 60: celle d'une femme qui vit comme un homme, celle d'un homme qui attend souvent comme le fait habituellement une femme.

Car dès 1962, avant que cela soit chose banale, Pauline Julien est une femme qui vit d'abord et avant tout pour son métier, qu'elle place systématiquement en premier chef dans son quotidien, avant amour et enfants.

Cela n'enlève rien à la ferveur de ses sentiments pour Godin, qui a 10 ans de moins qu'elle et qu'elle a rencontré à Trois-Rivières au début des années 60. Mais cela teintera toute leur relation: bien souvent, Ulysse se prénomme ici Pauline, et la patiente Pénélope a pour nom Gérald. Et leur amour, comme dans l'ancienne Ithaque, conserve sa ferveur, son intensité, par cela même qu'il est constamment contrarié par leur vie professionnelle!

Si on connaît le moindrement les grandes lignes de la vie de Pauline Julien et Gérald Godin, la lecture de cette correspondance incomplète (il y a un hiatus de 1969 à 1979 et l'ordre des lettres est aléatoire, car elles étaient rarement datées) est à la fois étrange et fascinante. La plume de Godin est lyrique, torturée, digne d'un poète. Mais celle de Pauline l'est aussi, et on se prend à rêver à ce qui aurait pu être si «le beau petit fennec d'amour» s'était permis la même liberté, le même souffle quand elle écrivait chansons et livres.

Par contre, si on connaît peu ou pas leur vie et leur carrière respectives, certains détails fondamentaux peuvent échapper au lecteur. Ainsi, on n'appréciera pas l'ironie involontaire que recèle la toute dernière lettre de Godin: elle se termine par les mots «Pierre Trudeau» ! Disons qu'il est nécessaire d'en savoir plus à propos de Julien et Godin pour apprécier véritablement ce petit recueil brûlant de sensualité, de désir, de respect, de douleur, de trahison et de passion.

Car c'est là le plus magnifique cadeau de cet ouvrage: jusqu'à la fin, alors que leur amour a plus de 30 ans et que Gérald Godin va bientôt mourir d'un cancer, l'amour physique et le désir charnel animent toujours ces deux êtres intenses, au mépris de tous les lieux communs. Les soirs où Pauline et Gérald se rejoignaient enfin dans leur demeure, ils avaient peut-être l'âme à la tendresse. Mais aussi le feu sous la peau.

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La renarde et le mal peigné - Fragments de correspondance amoureuse, 1962-1993. Pauline Julien et Gérald Godin. Éditions Leméac, 178 pages, 17,95 $.