Elle nous a bouleversés avec son premier roman, un récit d’autofiction d’une violence sans nom. Revoilà Michelle Lapierre-Dallaire en force, avec un deuxième opus dans la même veine, replongeant le lecteur entre sale nausée et pure fascination. C’est un euphémisme.

C’est écrit tel quel dans le synopsis de ce nouveau titre, aussi long et énigmatique que le premier : Je vous demande de fermer les yeux et d’imaginer un endroit calme, ce qui sera absolument nécessaire, faut-il le signaler, après être passé au travers de ces quelques 200 pages de récit à hurler, quoique loin d’être dépourvu de poésie.

« La ligne entre la fascination et la nausée est mince et je la franchis sans cesse », écrit Michelle Lapierre-Dallaire. Et c’est un fait : l’autrice témoigne d’une cruelle et bouleversante justesse dans le choix des mots, l’expression du ressenti, et surtout du vécu. Disons que le traumavertissement (« violence sexuelle, automutilation, suicide ») n’est pas de trop. Soyez avertis. Et accrochez-vous.

Si la jeune autrice abordait sa relation tordue aux hommes dans Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, c’est cette fois à sa relation tout aussi tordue à sa mère qu’elle s’attaque. Relations incestueuses avec ses amants de passage incluses. Au cube. À preuve, ces toutes premières phrases du livre : « Ma vie avec ma mère est un film qui se déroule dans un lit minuscule. Un film pornographique dans lequel je joue un rôle de soutien. » Cela vous donne une idée du propos, et surtout de la prose, d’une lucidité décapante.

À travers de courts chapitres non linéaires, l’autrice raconte donc cet amour à sens souvent unique pour cette femme, plus grande que nature à ses yeux.

Une femme que la narratrice vénère d’un amour inconditionnel, passionnel et irrationnel, qui n’a d’égal que la haine viscérale qu’elle ressent pour les hommes, et on devine d’emblée pourquoi.

L’amour pour une mère ne s’explique sans doute pas, et ce texte en est la démonstration ultime.

Au détour d’une page, entre le récit de ses jeux de Barbie, puis ses découvertes, saines ou malsaines, et cet amour déçu de plus en plus déchirant, arrive parfois une réflexion qui surprend, puis pas tant. Notamment celle-ci, sur les similitudes entre la prostitution consentante et l’écriture. Parce que oui, la narratrice a fini par se prostituer, êtes-vous surpris ?

« À la limite, écrit-elle, je me sens parfois plus nue lorsque j’écris que lorsqu’on me paie pour avoir du sexe. » Plus loin, ceci : « Tout comme on remet constamment la travailleuse du sexe à sa place de pute, on remet toujours l’autrice travailleuse du sexe à sa place d’autrice pute qui écrit de l’autofiction. » Et c’est là que, bousculé par la lecture, le texte prend tout son sens, son importance.

Je vous demande de fermer les yeux et d’imaginer un endroit calme

Je vous demande de fermer les yeux et d’imaginer un endroit calme

La Mèche

202 pages

7,5/10