Au moment où Anne Cathrine Bomann écrivait son roman, le Danemark venait tout juste d’autoriser ses médecins à poser un diagnostic de deuil prolongé chez les personnes qui demeurent « bloquées » dans cet état.

C’est toute cette question complexe qui est au cœur de son deuxième roman, une dystopie qui n’est pas si éloignée du présent (on est en 2024), mais qui soulève un débat sociétal passionnant.

Il faut savoir qu’Anne Cathrine Bomann est avant tout psychologue. Cette jeune autrice danoise s’était d’abord fait connaître avec Agathe, un premier roman d’une grande beauté, traduit chez La Peuplade en 2019, qui puisait son inspiration dans sa pratique. La revoilà donc en eaux familières, à mêler son expérience, ses questionnements de praticienne et les fruits de son imagination – une formule qui lui réussit assurément et qu’on espère la voir emprunter de nouveau dans ses titres futurs.

On est ici à l’Université d’Aarhus, où Anna et Shadi étudient en psychologie et travaillent sur un mémoire sur le deuil. Leur professeur, Thorsten, est impliqué dans une étude qui porte sur un nouveau médicament révolutionnaire, la Callocaïne – une « pilule du deuil » créée par la chimiste Elisabeth Nordin, directrice de recherche chez Danish Pharma. Lors de la dernière phase du projet, alors que le médicament est sur le point d’être commercialisé, les résultats mettent au jour un problème éthique qui risque de tout compromettre.

En dehors de la gamme est l’histoire d’une grande percée médicale qui est loin de faire l’unanimité – tout à fait fictive, mais qui touche à des problématiques bien concrètes : faut-il considérer le deuil prolongé comme une maladie psychique qu’il faut guérir, au même titre que la dépression ? Est-il préférable de privilégier les thérapies aux médicaments, puisqu’elles sont dépourvues d’effets secondaires ?

Comme un casse-tête à quatre voix, le roman est raconté tour à tour par ces quatre personnages qui gravitent d’une façon ou d’une autre autour de la Callocaïne et chez qui la question du deuil résonne de manière bien différente – ayant vécu une perte, un manque, une absence qu’ils n’arrivent pas à combler. Une construction audacieuse qui permet à l’autrice d’installer tout doucement, avec sa plume fine, d’une élégance sobre, un suspense discret qui croît à mesure qu’on avance dans l’intrigue, toujours avec ce ton posé et maîtrisé qui donne tout le temps à la réflexion.

En dehors de la gamme

En dehors de la gamme

La Peuplade

408 pages

8/10