Patrice Desbiens, poète ? « Je ne me suis jamais défini comme poète. C’est juste que des fois, j’écris des poèmes », rectifie l’homme de 75 ans de sa voix traînante. « Mais je suis ben obligé d’admettre qu’après une trentaine de recueils, ça fait beaucoup de pièces à conviction. » Visite chez celui qui dit avoir peut-être publié son dernier livre.

« [À] la salle paroissiale / on passe le film de ma vie / sur un drap blanc sale et / fripé mais / il y a des longueurs et / je cogne des clous et / m’endors », écrit Patrice Desbiens, 75 ans, dans Fa que, son nouveau recueil. Fidèle à ses habitudes, Patrice Desbiens raconte dans ses poèmes de belles menteries : il y aurait tout un film, pas plate, à tirer de sa vie.

Comment a-t-il commencé à écrire ? « Avec un crayon », répond-il du tac au tac. Sourire en coin. Dehors, une petite pluie frisquette tombe, mais à l’intérieur de son 2 ½ de la rue Saint-Denis, bien que les rideaux soient tirés, une vraie chaleur règne, émanant à la fois de notre hôte et de toute cette poésie que renferment les livres qui couvrent le mur. Par terre, à nos pieds, la vieille Olivetti sur laquelle il a tapé L’homme invisible/The invisible man (1981), un de ses livres les plus importants.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Patrice Desbiens

D’un naturel peu jasant, légendairement allergique au rituel inquisiteur de l’entrevue, Patrice Desbiens est ce jour-là presque loquace, du moins selon ses standards à lui.

Un bon poème

« J’ai eu tellement froid, couché en dessous des viaducs. Depuis ce temps-là, dès qu’il y a le moindre frette, je me mets à grelotter », explique-t-il quand son invité s’enquiert de ces gants coupés qu’il porte à l’intérieur, tout comme sa casquette ornée du drapeau franco-ontarien.

Couché sous les viaducs ? C’est que Patrice Desbiens a beaucoup bourlingué, dans sa jeunesse, à la suite de la mort de sa mère. C’était en quelle année ? Il n’était pas vieux, ça, c’est certain. Ado. Son père commis-voyageur, lui, est mort quand il avait 4 ans, dans une chambre d’hôtel de North Bay. Le cœur, probablement.

Le journaliste tente à nouveau sa chance. Comment Patrice Desbiens a-t-il commencé à écrire ? En écoutant à la radio de Timmins, sa ville natale, des chansons des Beatles. « Je voulais recopier les paroles, mais la chanson passait trop vite. Le restant, je l’inventais. J’essayais de me rappeler, à peu près. »

Se rappeler à peu près ? Le Franco-Ontarien fera de cet exercice le cœur de son œuvre. Si ses livres ont été célébrés pour leur regard sur le proverbial quotidien, sa poésie en est moins une d’observation de ce qui se trouve autour de lui que d’auscultation de ses souvenirs, qu’il densifie à l’aide d’images juste assez obliques pour conférer à bien des minuscules riens beaucoup de magie. Ou pour restituer à de grands sentiments comme l’amour leur banale humanité.

« [D]ans ma chambre sous le lit / j’ai gardé un petit morceau du / petit ruisseau où je l’ai / rencontrée », écrit-il dans « Un bruissement d’étoiles », une des plus belles pages de Fa que. « [P]arfois je sors le petit ruisseau et / je le place précieusement sur le / plancher pour l’écouter couler ».

Qu’est-ce qu’un bon poème ? « C’est un poème que tu comprends ce qui est dit. Il faut que tu voies l’image, que ça te pogne », pense l’auteur de Sudbury et de Grosse guitare rouge. « J’essaie de garder ça simple. Plus c’est simple, plus ça vient me chercher. Des fois, je lis des affaires et je me demande si ça n’a pas été écrit par une intelligence artificielle. »

Toujours libre

Patrice Desbiens semble étonnamment serein ou, en tout cas, moins bourru qu’à l’accoutumée, bien que, côté santé, « il y a toujours quelque chose ». Il ne boit plus depuis 2013 – « même pas un bonbon à la liqueur » –, mais ne s’était jamais jusque-là tellement ménagé. « C’est peut-être mon dernier livre, confie-t-il. Je suis fatigué. » Écrire un poème, après tout, suppose chaque fois de « partir de zéro ». Pense-t-il à la mort ? « Non, mais je suis sûr qu’elle, elle pense à moi. »

PHOTO JEAN-CHARLES HUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Patrice Desbiens, chez lui, en 2003

Comment Patrice Desbiens est-il devenu poète ? La vraie réponse viendra sans que le journaliste ait à poser la question. C’était en juin, au temps des examens de fin d’année à l’école secondaire anglaise où il allait, même s’il n’y allait pas souvent.

« J’avais répondu ce que je pouvais, pas grand-chose, parce que je n’avais pas étudié. Tout ce que je faisais dans ce temps-là, c’est me promener et lire. J’ai demandé à aller aux toilettes, je suis rentré chez la famille où je restais, je me suis fait un sac d’essentiels et je suis parti de Timmins sur le pouce, vers Toronto. »

« Ma vie, ça n’a pas été aussi romantique que tu penses, s’empresse-t-il d’ajouter. Mais il m’est arrivé toutes sortes d’affaires. Et il ne m’est jamais rien arrivé de pire que d’être pogné dans un gymnase d’école au mois de juin quand il fait beau. J’ai été dans la rue, mais j’ai toujours été libre. »

Qui est Patrice Desbiens ?

  • Patrice Desbiens a publié depuis 1974 une trentaine de livres. Ils sont pour la plupart parus chez Prise de parole et L’Oie de Cravan.
  • Chloé Sainte-Marie et Richard Desjardins ont chanté ses mots.
  • Il est né à Timmins en 1948, mais demeure associé à Sudbury, où il a longtemps vécu.
Fa que

Fa que

Éditions Mains libres

78 pages