Il y a autant de souffle que de puissance dans ce troisième roman de la Canadienne Emma Hooper, musicienne et autrice dont le premier livre, Etta, Otto (et Russell et James), lui a fait connaître un retentissant succès international.

Brillamment traduit chez Alto par Dominique Fortier, N’ayons pas peur du ciel est une vaste fresque qui, même si elle se déroule à la fin de l’Antiquité sur fond de persécution des chrétiens, est d’une formidable modernité autant dans son écriture que dans son propos.

Au début, il y a donc neuf sœurs sorties en même temps du ventre de leur mère. Deux ne survivront pas et les autres seront sauvées et confiées à différentes familles, mais dans ce monde rude de maladie et de pauvreté, elles ne seront bientôt plus que cinq. Chacune transportera ensuite le fil du récit, dans de plus ou moins longs chapitres qui portent simplement leur prénom et leur rang dans leur ordre d’arrivée dans le monde : Quiteria, Marina, Liberata, Basil, Vitoria.

Un récit qui n’est pas linéaire et dont la construction est astucieuse, qui revient en arrière où se projette en avant, fait des bonds dans le temps en éclairant différemment une situation, raconte des histoires parallèles selon qui en est la voix principale. Les sœurs se passent ainsi le relais, et si certaines reprennent le flambeau plus souvent que d’autres, on avance ainsi sans que rien ni personne ne soit laissé en plan, l’autrice tissant le fil de sa tapisserie, comme Marina, avec délicatesse et précision.

Les cinq protagonistes ont beau avoir des personnalités, particularités et aspirations aussi différentes que possible, c’est leur sororité qui leur procure la force pour mener leurs quêtes individuelles. C’est ce qui donne toute la puissance à ce roman d’émancipation, de liberté et de courage face à l’adversité et aux éléments. Et même s’il se déroule sous l’Empire romain, à une époque où les femmes n’étaient pas maîtresses de leur destin, ce contrôle qui s’exerce sur elles, et leur résistance tranquille (ou pas), ne peut qu’évoquer aujourd’hui.

N’ayons pas peur du ciel est en fait profondément universel et humain, mais reste en même temps un roman épique et plein de rebondissements, sorte de récit d’aventures porté par une écriture poétique et multiforme, lumineuse et rythmée – la manière dont les cinq sœurs se parlent entre elles, pleine de silences et d’onomatopées qui en disent long, et particulièrement réussie.

On referme ce livre brillant en restant longtemps hanté par ces pages fiévreuses et sa finale bouleversante, l’ombre de Quiteria, de Marina et des autres dansant autour de nous comme autant d’images de femmes dans toute leur complexité, leur unicité et leur profondeur. Emma Hooper signe ici un grand roman de sororité, un grand roman point final.

N’ayons pas peur du ciel

N’ayons pas peur du ciel

Alto

443 pages

8,5/10