8 h 30
Dans le vestibule de l’hôtel Place d’Armes, deux ombres se croisent. Celles de Bernard Werber et d’Éric-Emmanuel Schmitt, étoiles de la littérature française invitées cette année au Salon du livre de Montréal. L’une d’elles franchit les portes et, malgré le ciel pluvieux matinal, semble rayonner. Costume vert bouteille, chemise sans cravate, M. Schmitt est d’attaque. Il est pourtant arrivé de Bruxelles la veille, à midi, et à peine sorti de l’avion déjeunait-il en compagnie de Denys Arcand et Denise Robert, enchaînant avec une entrevue pour La Semaine, puis une première séance de signature au Salon.
Debout depuis 7 h, insensible au décalage horaire, l’écrivain de 62 ans attend de pied ferme son programme chargé. « J’ai l’habitude ! Il m’est arrivé d’accorder 14 interviews dans la même journée », lance-t-il avant de sauter dans le taxi le conduisant aux studios de TVA. Durant l’année, il assure une cinquantaine de représentations théâtrales, voyage par monts et par vaux. « Lundi dernier, j’étais au Vatican en entretien avec le pape », lâche-t-il candidement. Son secret pour tenir le tempo ? Le sommeil. « Je m’endors facilement et dors très bien », confie-t-il, précisant pouvoir travailler 14 heures d’affilée.
9 h
Peu avant 9 h, le taxi dépose M. Schmitt devant TVA, où il est attendu pour participer à l’émission Marie-Claude. À peine le seuil franchi, une poignée de main ; celle de Giuliano da Empoli, écrivain italo-suisse à qui il a donné son appui pour le Goncourt, également invité de la chaîne dans le cadre d’une autre émission. Après quelques échanges cordiaux, le dramaturge s’engouffre dans les boyaux des studios, conduisant à la salle de maquillage. Puis, en attendant le début de l’enregistrement, il converse avec les autres invités de la matinée : Denis Lévesque, Lise Dion et Anne-Marie Cadieux. La discussion tourne autour de Charles Aznavour.
La régie fait signe ; on va tourner. Schmitt est-il stressé ? « Pas du tout, rassure-t-il. Le Québec m’a beaucoup appris à me détendre et me sentir plus libre dans les médias. On y est plus dans l’accueil et la joie d’être avec l’autre. En France, on a l’impression qu’il faut longtemps se faire pardonner d’avoir du succès. »
10 h
D’abord en tête à tête avec Marie-Claude Barrette, il disserte gracieusement sur les thèmes du deuil et du manque d’autrui. Frais comme un gardon, il pêche avec naturel formules élégantes et réflexions. En coulisses, le trio d’invités suit le segment sur un moniteur. « On va passer pour une gang d’imbéciles ! », s’inquiète en riant Denis Lévesque, impressionné par l’éloquence de l’écrivain.
Finalement réunis sur le plateau en table ronde, ils s’expriment tour à tour sur le thème du jour. L’enregistrement, qui sera diffusé lundi, s’étale sur une heure dodue. Éric-Emmanuel Schmitt en sort satisfait. « C’était naturel, il n’y avait rien de fabriqué », se réjouit-il. Mais dans le cadre de ces tournées promotionnelles, n’est-il pas exténué par les interrogations redondantes ? « Mon astuce, c’est que même si on me pose pour la 15e fois la même question, je me dis que c’est la première fois que je réponds à cette personne en particulier. Cela me permet de cultiver dans le renouveau », livre-t-il.
Qu’est-ce qui peut l’irriter, alors, au cours du marathon ? Il avoue ne pas être friand des revirements. « J’aime bien quand tout est très structuré, organisé. Les imprévus peuvent être un léger désagrément, mais j’essaye d’avoir l’intelligence de m’adapter », indique-t-il dans le taxi le reconduisant à l’hôtel.
12 h
Peu avant midi, il dispose d’une belle demi-heure pour souffler avant le repas. Un petit somme sera-t-il au menu ? « Surtout pas ! Les siestes me mettent dans un état épouvantable », insiste-t-il. De retour dans sa chambre d’hôtel, il en profitera pour gérer ses courriels.
Midi sonné, il file vers un restaurant nippon du Vieux-Port pour avaler un bol poké, un dessert et un café, prenant le temps de répondre à nos questions, évoquant son labrador Machka, son lieu d’écriture dans la campagne belge, les coulisses du Goncourt. Il annonce également concocter deux livres qui sortiront en 2023 : un carnet de voyage et un ouvrage hommage à la musique.
14 h
À la demande de notre photographe, l’auteur se prête volontiers à une séance de portrait photo près de la basilique Notre-Dame, multipliant les poses, tête nue dans le froid mordant. Soudain, une passante l’aborde en pleine rue. « Je vous ai reconnu et je vous dis : merci. Je viens du Cameroun, je suis au Québec pour trois jours et je vous croise ici. C’est fou ! », s’extasie-t-elle. Une situation très commune pour l’écrivain qui, constamment accosté, révèle peiner à fréquenter librairies, salons littéraires et… buffets. « Je me fais tellement arrêter en chemin que lorsque j’arrive à la table, tout a été mangé ! », s’esclaffe-t-il.
14 h 30
Jetant l’ancre au kiosque 401 du Salon du livre, à l’occasion de la sortie du 3e tome de sa fresque romanesque La traversée des temps, Schmitt est désormais confronté à une vague d’admirateurs ayant soif de dédicace. Le commentaire-mantra : « Ce n’est pas bravo, mais merci », constate l’auteur. Signant à tour de bras, il consacre néanmoins le temps nécessaire à chacun, s’échinant à trouver des mots de circonstance. « Derrière l’auteur et le dramaturge, il y a toujours le philosophe », note-t-il.
Il se montre également surpris de la jeunesse des participants au Salon, y compris parmi ceux lui réclamant un autographe. La preuve ne tarde pas : Jérémy, 9 ans, lui tend un exemplaire d’Oscar et la dame rose, conseillé par sa mère Isabelle, elle-même venue faire signer Journal d’un amour perdu. Derrière eux, des dizaines de lecteurs de tous âges attendent leur tour.
15 h 30
Voilà plus d’une heure que le stylo de Schmitt griffonne les pages de garde. La séance s’étire un peu. Et une deuxième rafale est prévue en soirée. Il prévoyait entreprendre un papillonnage au sein du Salon, mais la fatigue se fait sentir. « Quand on s’est beaucoup ouvert, il faut savoir se replier », philosophe-t-il. Prenant le temps de saluer brièvement Dany Laferrière au kiosque voisin, il reprend le chemin de l’hôtel pour ménager ses forces.
18 h
C’est reparti pour un tour : Éric-Emmanuel Schmitt regagne son kiosque pour une seconde déferlante de dédicaces. Plus tard, il rencontrera des gens du théâtre québécois — il dit beaucoup apprécier Michel Marc Bouchard. La journée a été chargée, mais ses 12 travaux sont loin d’être terminés. D’ici son départ, lundi soir, il doit entre autres assurer quatre séances de signature supplémentaires, participer à une table ronde, rencontrer Lorraine Pintal, intervenir à l’émission Tout peut arriver, puis assurer une classe de maître sur une demi-journée avant d’embarquer dans l’avion. C’est du sport ! D’ailleurs, l’activité physique fait-elle partie de son arsenal énergétique ? « Pas de sports où on en bave comme en faisait mon père. Mais la marche et la natation, oui. Ça rend résistant ! »
Consultez le site du Salon du livre pour connaître les présences d’Éric-Emmanuel Schmitt