La géographie intellectuelle du Québec est en pleine redéfinition. Dans cette série, notre collaborateur Jérémie McEwen nous présente des essayistes qui pensent le monde contemporain.

J’ai joui. En lisant ce mémoire de maîtrise sur Madonna devenu essai, écrit fébrilement et dans l’admiration, mais aussi dans l’érudition et la critique terre-à-terre, j’ai trouvé une voix neuve, riche et joueuse. C’est la plume fougueuse d’un jeune auteur, qui semblait presque surpris que je l’appelle pour lui parler de son livre, un nouvel essayiste qui a fait le choix de parler d’une vieille chanteuse pop. Et pas du tout de l’œuvre de la grande époque, au contraire, il écrit sur celle des dernières années, pour nous dire en somme : écoutez, voyez comme c’est grand, encore.

Le livre se concentre sur deux œuvres relativement récentes de celle qui faisait plutôt frissonner les parents conservateurs de jeunes de ma propre génération, il y a 30 ans, à savoir la tournée MDNA de 2012 et le court métrage secretprojectrevolution de 2013. C’est dans ces années-ci, je me rappelle, qu’on commençait à entendre ces discours qui disaient que la Madonne ne savait pas vieillir, qu’elle s’accrochait, qu’elle refusait de prendre du recul avec grâce.

C’est avoir tout faux, si on lit ce livre, qu’on aurait tort d’ouvrir sans avoir préalablement visionné au moins le court métrage dont il traite, offert gratuitement en ligne.

Visionnez le court métrage secretprojectrevolution

S’il y a un défaut à l’ouvrage, c’est bien celui-là : on aurait dû inclure quelques codes QR pour bien souligner le lien entre le texte, les images et les sons qu’il analyse, tellement c’est riche et touffu, mais quelque peu aride sans YouTube allumé à côté.

Références et contradictions

Quel bonheur, néanmoins, de creuser les références semées çà et là dans cette tournée et ce film de maturité de la chanteuse ! Tantôt Wagner, tantôt Dante, mais aussi Martin Luther King et James Baldwin, qu’elle s’amuse à citer, à digérer, à rendre siens. Les discours féministes sur la chanteuse ne sont pas en reste, Despentes la célébrant, d’autres la dénigrant. Et à la suite de tout ça, comme c’est bien connu, Madonna embrasse les idées d’une version pop de la Kabbale juive, d’ailleurs rejetée par les tenanciers plus officiels de la chose, par où en somme elle affirme non sans contradiction flagrante vouloir effacer le plus possible son ego de sa vie.

Ces contradictions sont grosses comme le bras, mais ces tensions sont ce qui la rend intéressante, m’a soutenu l’auteur au bout du fil, alors que j’avais l’impression qu’il faisait les cent pas en me parlant énergiquement de celle qui l’a occupé à l’école jusqu’au début de la pandémie, quand il a déposé son mémoire. Elle n’est pas sans contradictions, elle le sait, mais au moins elle essaie, comme ce moment dans le court métrage où elle s’adonne à une comparaison des luttes bien maladroite, en disant que les luttes féministes sont moins prises au sérieux que les luttes raciales. On sourcille en l’écoutant, on est forcé de réfléchir en tout cas.

Quand j’ai vu ce livre arriver sur les tablettes cet automne, je me suis dit que le « déclin orchestré » de son sous-titre en avait long à dire sur l’âgisme du star-système.

Si déclin il y a, ce n’est pas dans l’amenuisement de l’importance de Madonna, c’est plutôt qu’elle sait descendre auprès des gens, du réel, descendre jusqu’aux enfers s’il le faut, après que la montée eut été si spectaculaire.

« J’aimerais vraiment écrire un livre sur Lady Gaga à un moment donné », m’a confié Prud’homme-Rheault. Et nous le lirons avec attention, pour comprendre comment l’art de la citation au centre de l’œuvre de Madonna est devenu citation de la citation chez Lady Gaga, qui par ce procédé subvertit la maîtresse pour plutôt avaler l’avalée.

Pour ceux qui vivraient sous une roche comme moi : ce n’est pas la joie entre les deux chanteuses, la marraine n’apprécierait pas la récupération par la nouvelle élue, mais pour le chercheur en culture populaire, c’est leur affrontement symbolique qui est intéressant.

Ému, j’ai déposé mon exemplaire du livre un vendredi soir, accoudé sur le zinc d’un bar du Centre-Sud aux portes du Village à Montréal, après avoir lu une longue citation de Baldwin sur le statut de l’artiste qu’aime bien reprendre Madonna. C’est tiré d’un texte intitulé La lutte de l’artiste pour son intégrité. Baldwin écrit que « même si vous avez passé 40 ans à élever cet enfant, ces enfants, rien de tout cela ne vous appartient. On ne peut avoir qu’en abandonnant. On ne peut prendre qu’en étant prêt à donner. Et donner, ce n’est pas passer la journée au comptoir des soldes. C’est risquer tout, vous-même, tout ce que vous pensez être ».

En reprenant le livre entre mes mains, j’ai pensé à ce jeune auteur, qui dédicace son livre à ses parents. Il me parlerait à quelques reprises de leur l’importance pendant notre conversation deux jours plus tard, et de leur influence quant à son intérêt pour la culture populaire. Et je me dis : rien de tout cela ne leur appartient.

Madonna : le déclin orchestré

Madonna : le déclin orchestré

Varia

174 pages