Y a-t-il des fautes qu’on peut pardonner plus que d’autres quand on les croise dans un livre ?

Chantale Cusson en était presque arrivée aux trois quarts du Syndrome de Beyrouth, roman d’Alexandre Najjar, quand elle a coupé court à sa lecture. L’écrivain évoquait alors Haïti comme « cette île du Pacifique ».

« C’est tellement gros comme erreur », s’indigne-t-elle. Même si elle avait apprécié les quelque 200 pages précédentes, elle n’a aucune intention de reprendre sa lecture. Parce que « ce genre d’erreur », précise-t-elle, l’amène à s’interroger sur l’exactitude du reste du contenu.

Celle qui est réviseure dans le milieu des magazines depuis plus de 30 ans se dit pourtant indulgente lorsqu’elle trouve des coquilles dans un roman. Malgré « l’envie de hurler » quand celles-ci se multiplient.

Marie-Anne Poggi, grande lectrice et instigatrice du Club des Irrésistibles, qui a déjà dirigé une vingtaine de clubs de lecture mensuels dans des bibliothèques de Montréal, estime avoir remarqué une hausse « exponentielle » des erreurs dans les romans publiés par de « prestigieuses » maisons d’édition françaises. Elle relève désormais toutes les erreurs rencontrées au fil de sa lecture et les fait suivre à la maison en question – malgré l’absence de retours.

C’est ainsi que dans Ton absence n’est que ténèbres, de l’Islandais Jón Kalman Stefánsson, elle a noté 14 erreurs – mots manquants, accords erronés, etc. –, ce qu’elle a indiqué à la toute fin de son compte rendu du livre, publié sur le site des Irrésistibles, même si elle a « beaucoup aimé » sa lecture.

On sait que ça arrive, des coquilles. Mais parfois, je trouve ça vraiment choquant. Quand l’erreur te saute aux yeux et que c’est toutes les 10 pages, il y a quelque chose qui ne va pas. Moi, ça me dérange dans ma lecture. Je pense à la personne qui va payer 25 ou 30 $, puis qui va abandonner sa lecture parce que ça la choque trop…

Marie-Anne Poggi, instigatrice du Club des Irrésistibles

En 2016, déjà, des traducteurs et correcteurs avaient manifesté en France pour exprimer leur mécontentement face à leurs conditions de travail et dénoncer la baisse de qualité qui menace le livre. Des cadences de travail trop rapides, imposées par les traductions de romans très attendus comme ceux des séries Millénium ou Harry Potter, avaient également été mises en lumière par le magazine littéraire français ActuaLitté. Une correctrice dans le milieu de l’édition avait même révélé que « certains éditeurs faisaient parfois l’impasse sur l’étape de la correction ».

Le Québec fait bonne figure

Au Québec, en revanche, la situation est bien différente. « Il y a au minimum trois paires d’yeux qui vont lire au complet le texte – un éditeur, un réviseur et un correcteur », et toutes les maisons fonctionnent de façon assez semblable, note Renaud Roussel, directeur adjoint de l’édition au Boréal.

Bon nombre d’éditeurs québécois vont jusqu’à nommer les réviseurs et correcteurs d’épreuves, notamment à la fin de l’ouvrage, à La Peuplade, ou sur la page de garde chez Libre Expression, Marchand de feuilles, Druide, Québec Amérique, XYZ ou encore Stanké, parmi tant d’autres.

Olga Duhamel-Noyer, directrice littéraire des Éditions Héliotrope, évoque un « éloge de la lenteur » du côté de la maison montréalaise, pour prendre le temps de bien faire les choses.

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Olga Duhamel-Noyer, directrice littéraire des Éditions Héliotrope, en 2014

L’éditrice, la réviseure, comme l’auteur ou l’autrice, tout le monde va essayer d’attraper des coquilles, des erreurs, des fautes, pour que ce soit le plus propre possible et le plus correct possible.

Olga Duhamel-Noyer, directrice littéraire des Éditions Héliotrope

De façon générale, les corrections sont apportées dans un premier temps assez rapidement dans les éditions numériques, qui font l’objet de mises à jour ; puis, dans un second temps, elles peuvent se déployer dans d’éventuelles réimpressions ou rééditions en format poche, dans certains cas.

« Quand j’ai commencé dans le métier, il y a une trentaine d’années, tout était beaucoup plus improvisé ; le métier s’est beaucoup professionnalisé au Québec et les délais sont plus longs qu’autrefois », renchérit le directeur de l’édition du Boréal, Jean Bernier.

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Jean Bernier, directeur de l’édition du Boréal, en 2013

Selon lui, il y aurait une influence américaine dans la façon de faire des éditeurs québécois. « Il y a un livre assez délicieux de [l’écrivain français] Jean Echenoz sur Jérôme Lindon [son éditeur durant plus de 20 ans], qui parle de ses discussions avec lui. Ils allaient dîner dans un très bon restaurant pour discuter de son livre et ils parlaient d’une virgule à la fin du repas. J’exagère, parce qu’il y a des éditeurs français qui travaillent de façon beaucoup plus rigoureuse, bien sûr, mais les éditeurs américains, eux, ont des équipes très interventionnistes. Et puisque nous sommes au Québec, dans un milieu nord-américain, il y a quelque chose de ce caractère plus interventionniste qu’on doit adopter. Les auteurs s’attendent à ça », dit-il.

« C’est sûr que l’exigence de perfection, qu’on n’atteint jamais, est quand même plus grande pour un livre, parce qu’en principe, on a le temps de bien faire les choses, ajoute Jean Bernier. Un livre est toujours une chose importante et il faut y consacrer tous les soins qu’on peut y apporter. Il ne faut pas oublier qu’il y a des gens qui vont le lire dans 5 ans, 10 ans, 20 ans ; donc, il a ce caractère un peu définitif, ce qui représente à la fois un grand défi et sa grande force. »