Dans le recueil d’entretiens À nos filles, l’autrice Michèle Plomer a eu envie de parler de transmission et de sororité avec une douzaine de femmes au riche parcours. Résultat : c’est un livre très étoffé que nous propose celle qu’on a connue avec la trilogie romanesque Dragonville et des livres d’autofiction comme Étincelle et Habiller le cœur.

Déjà, le choix des interviewées laisse entrevoir de la profondeur dans la réflexion et les champs d’expertise. De l’autrice Joséphine Bacon à la militante féministe Marjorie Villefranche, en passant par la poète Denise Desautels, la peintre Marion Wagschal et la dramaturge Brigitte Haentjens, Michèle Plomer donne la parole à toute une diversité de voix.

En plus des magnifiques photos de Justine Latour dans lesquelles les invitées dévoilent un peu de leur humanité, l’autrice explique les raisons de ses choix en introduction à chaque entretien. Yvette Bonny par exemple, pédiatre-hématologue d’origine haïtienne, a réalisé la première greffe de moelle osseuse auprès d’un enfant au Québec. Aussi, Michèle Plomer n’hésite jamais à s’impliquer, racontant par exemple à quel point l’œuvre de Marie-Claire Blais ou de Nicole Brossard l’a toujours habitée, où comment la simple présence de Manon Barbeau ou de Paule Baillargeon l’impressionne.

On ressent d’ailleurs dans chaque entretien l’admiration que porte Michèle Plomer à ces femmes d’exception, mais aussi son désir d’aller au fond des choses avec elles.

L’idée du livre est d’emmener chacune à parler du chemin parcouru à travers différents thèmes. Mariage, sexualité, création, argent, travail, maternité, immigration, l’éventail des sujets abordés est vaste, et la pluralité des expériences racontées permet de toucher à plein d’aspects de la vie.

Que ce soit la libraire Jeanne Lemire, qui parle de bienveillance en affaires ; la travailleuse communautaire Yasmina Choukari, qui discute de religion et des angles morts de l’intersectionnalité ; Marion Wagschal, qui se prononce sur l’indépendance financière ; ou Paule Baillargeon, qui s’exprime sur la colère comme moteur, les pensées même les plus denses sont incarnées, et manifestement le fruit d’une évolution constante et intime.

Liées par solidarité

En toile de fond de ce livre qui donne la parole à des femmes dont le point commun est certainement leur esprit libre et indépendant se dessine la solidarité féminine, qui a été à la source du travail et de la vie de la majorité d’entre elles, et la suite du monde. Comment montrer l’autonomie et l’estime de soi aux jeunes femmes ? se demande en effet Michèle Plomer. Les réponses sont nombreuses et généreuses, mais sans jugement, car on sent surtout une grande confiance dans les nouvelles générations.

Mais puisque ce livre en est un de transmission, d’ouverture et de dialogue, quelle bonne idée ce serait de le mettre entre les mains des jeunes femmes, mais aussi des hommes, pour que ces chemins parcourus, parfois dans l’adversité, aident à comprendre ce qu’il y a derrière et soient une inspiration et un levier vers plus d’égalité et de compréhension.

Voilà en tout cas 12 voix, sages, mais pas si sages non plus, qui nous tirent vers le haut, évitent les raccourcis intellectuels et privilégient la discussion à la confrontation. Une des nombreuses bonnes raisons pour les écouter.

À nos filles en quelques citations

Je dirais aux jeunes femmes qu’elles ont d’abord autant le droit de se réaliser que leur partenaire en a le droit. C’est souvent la réalisation qui amène la satisfaction, et les satisfactions qui amènent un peu de joie, et beaucoup de satisfactions et de joies qui amènent le bonheur.

Manon Barbeau

Moi, j’ai toujours dit : la liberté avant l’amour.

Paule Baillargeon

Tant que l’on peut aimer, penser, marcher, regarder, apprécier ce que nos sens captent du vivant autour de nous et en nous, vieillir est une forme d’accomplissement et de relation douce avec le temps.

Nicole Brossard

Moi, tous les jours, je suis qui je dois être dans ma journée. Et puis après on verra.

Joséphine Bacon

Les femmes, et d’autant plus les femmes artistes, doutent tellement de la valeur et de la qualité de ce qu’elles font. Cette incertitude constitue un énorme obstacle que je dois tous les jours surmonter et que j’affronte en me présentant quotidiennement dans mon atelier.

Marion Wagschal

La bataille, c’est un peu l’histoire des femmes, et c’est beaucoup l’histoire des femmes noires.

Marjorie Villefranche

La complicité entre femmes s’installe vite, est tout de suite grande, surtout quand on est en train d’aborder des questions essentielles qui touchent à ce qu’il y a à la fois de profond et de fragile en nous.

Denise Desautels

À nos filles

À nos filles

Marchand de feuilles

321 pages

7/10