Le romancier François Blais, auteur d’un humour et d’une finesse d’esprit n’ayant d’égal que sa discrétion, est mort dans la nuit de vendredi à samedi, chez lui à Charette, en Mauricie. Il avait 49 ans.

La nouvelle, d’abord relayée sur les réseaux sociaux par le comédien Rémi-Pierre Paquin, a été confirmée à La Presse dimanche matin par Geneviève Pigeon, directrice littéraire des Éditions de L’instant même, là où Blais a publié presque l’ensemble de son œuvre.

« Il faisait beau samedi matin quand je l’ai appris, c’était lumineux dehors et tout à coup, j’ai arrêté de respirer. Je n’y crois pas. Je n’y crois juste pas. C’est une voix qui ne pouvait pas s’éteindre », a déclaré celle qui collaborait avec l’écrivain depuis plus d’une quinzaine d’années.

« Sa mort, c’est sa propre décision », a-t-elle ajouté pudiquement, avec beaucoup de tristesse.

Auteur d’une douzaine de romans ainsi que de quelques livres jeunesse, François Blais est devenu dès Iphigénie en Haute-Ville (2006), mais surtout avec Document 1 (2012), un de ces rares écrivains reconnaissables en seulement quelques phrases. Ses personnages ont souvent été qualifiés de perdants, bien qu’il soit plus juste de les décrire comme des résistants passifs qui tentent de s’imaginer, dans les marges d’une société où le conformisme domine un bonheur qui leur ressemble. « C’est vrai que j’aime parler des losers. Mais losers selon qui, selon quoi ? », se défendait-il en février 2012 dans un entretien accordé à La Presse.

Également chroniqueur au magazine Protégez-vous, François Blais travaillait comme concierge la nuit au centre commercial Les Rivières de Trois-Rivières. Ses courriels étaient habituellement envoyés au petit matin, alors qu’il terminait son quart de travail en lisant sur sa liseuse, dans un des fauteuils de la salle d’allaitement. Il existait peu de joie aussi pure que se réveiller avec, dans sa boîte, un nouveau message de sa part.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

François Blais, en 2012

Peu enclin à se donner en représentation ou à jouer le jeu des mondanités littéraires, l’auteur se faisait discret dans les médias, même s’il se prêtait volontiers à l’exercice de l’entrevue.

Cette réserve relevait moins de la misanthropie que d’une forme de timidité, ou plus simplement de malaise avec ce qu’on appelle le small talk.

Il y avait derrière sa grosse carapace beaucoup de vulnérabilité, de tendresse, de douceur. C’était quelqu’un de curieux, de brillant, d’ouvert d’esprit, de passionné et de très inquiet.

Geneviève Pigeon, directrice littéraire des Éditions de L’instant même

« Pour moi, Blais était le seul vrai digne héritier de Ducharme, un auteur qui maîtrisait l’oralité et l’humour littéraire », a confié à La Presse un de ses indéfectibles lecteurs, l’écrivain William S. Messier. « Je pense que Document 1 est le livre québécois que j’ai le plus suggéré et prêté. »

Une cathédrale d’affaires pas importantes

Né à Grand-Mère en 1973, François Blais a longtemps vécu à Québec, mais est revenu s’établir en 2015 dans sa Mauricie natale, à Charette, où il habitait avec sa sœur ainsi qu’avec leurs chiens, leurs chèvres, leurs chats, leurs poules et leur perruche.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

François Blais

Avec son plus récent roman, La seule chose qui intéresse tout le monde (2021), il s’était pour la première fois mesuré au genre de la science-fiction, sans parvenir à masquer sa langue inimitable, un mélange de fausse nonchalance et d’étonnante érudition. S’il écrivait toujours le même livre, comme certains l’ont dit de façon plus ou moins péjorative, c’est surtout que la singularité de son point de vue l’emportait inévitablement sur son désir pourtant palpable de se réinventer en signant un roman choral (La classe de madame Valérie, 2013) ou un roman d’enquête (Sam, 2014). Le livre où la poule meurt à la fin (2017), hilarant album jeunesse, est tout aussi subversif que ce que son titre laisse présager.

Bien qu’il ait été courtisé par d’autres éditeurs, François Blais sera demeuré fidèle à L’instant même tout au long de sa carrière, sans doute par tempérament, mais aussi parce que la maison n’a jamais essayé de gommer son style, où d’expansives digressions finissaient par l’emporter sur la quête mince, voire inexistante, de ses protagonistes.

« Il y a des éditeurs qui te disent oui, mais ensuite, ils veulent te faire élaguer, enlever le gras. Mais moi, si tu enlèves le gras, il ne reste plus rien ! Mes livres, c’est une cathédrale d’affaires pas importantes », expliquait-il en 2012 à La Presse, une formule typique de ses entretiens où l’autodérision frôlait l’autoflagellation.

« On a tendance à considérer l’économie de moyens comme une qualité », regrettait-il dans une entrevue accordée en 2014 au Soleil. « Pourquoi économiser des mots ? C’est gratis. »

Une citation à laquelle l’écrivain David Bélanger repense souvent. « Elle contient toute cette contradiction avec laquelle jonglait François Blais : dans le monde littéraire, on va parler en grands termes symboliques de cette chose triviale qu’est l’écriture. Dans Nous autres ça compte pas, le personnage d’écrivain n’arrête pas de faire des copier-coller, il est dans le trivial du geste d’écrire, il n’est pas dans l’inspiration comme Soljenitsyne ou Kerouac. Il est assis devant son ordinateur et il essaie d’être efficace. »

D’abord lecteur

Toujours tenaillé par le doute, François Blais avait soumis, sous pseudonyme féminin, le manuscrit de Document 1 à une autre maison d’édition (Québec Amérique), afin de s’assurer que L’instant même ne l’avait pas accepté que par charité chrétienne, ou parce qu’il était devenu leur star.

D’un humour plein de cynisme envers quiconque pèche par excès d’orgueil, son œuvre raillait sans cesse le sérieux limite pompeux avec lequel le milieu littéraire et ses acteurs considèrent leur travail. Dans la deuxième partie de Les Rivières, suivi de Les Montagnes (2017), il emprunte la voix d’un « écrivain important que personne ne lit, mais qui est bien vu de la critique et des institutions », et à qui on « accorde d’emblée ses quatre étoiles », alors qu’il récoltait pour sa part en général des trois étoiles et demie.

Bien qu’estimés par la critique et par les libraires, ses livres auront été peu récompensés, ce dont le principal intéressé se moquait régulièrement. Son roman jeunesse Lac Adélard (2019), lauréat du Prix des libraires et du Prix du Gouverneur général, fait figure d’exception.

« On sent dans ses livres une forme d’amertume par rapport à ça, estime David Bélanger, mais je ne sais pas si c’est vraiment de l’amertume ou plutôt un pied de nez à tout ce à quoi il ne croit pas, un pied de nez aux institutions et au jeu absurde des prix, qui sont toujours tellement circonstanciels. »

François Blais, comme tous les grands écrivains, était d’abord un grand lecteur. Ses romans pouvaient à la fois contenir des clins d’œil aux classiques de la littérature canonique, aux littératures de genre, à la poésie nichée de Marc-Antoine K. Phaneuf ou aux livres de croissance personnelle de Marc Fisher.

Pour David Bélanger, François Blais « réussissait, au-delà des joutes politiques et des prix, à nous ramener à ce qu’est vraiment la littérature : lire des livres qui donnent à penser, les aimer ». Nous étions nombreux à nous émouvoir, dimanche, qu’un écrivain aussi discret laisse un vide à ce point immense.