« C’est un bon coup que j’ai fait dans ma vie de l’aider un peu à vivre, je pense », affirme Clémence DesRochers en regardant Siou Deslongchamps avec ses yeux bleus toujours aussi vifs.
Vivant avec un trouble d’anxiété généralisée et un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), Siou a appris récemment que tout cela découle d’un trouble du spectre de l’autisme. Ce qui explique, entre autres, le fait qu’il préfère rester à l’écart des foules, comme ce soir de mai 2012 à l’occasion d’un évènement des Impatients au cabaret La Tulipe. C’est à ce moment-là que Clémence le remarque pour la première fois. Il venait de chanter sur scène un texte de son cru qu’il devait normalement réciter. « Son allure m’a frappée quand je l’ai vu avec ses grands boudins, se rappelle-t-elle en riant. Puis j’ai remarqué qu’il était timide, qu’il se tenait tout le temps loin des autres. »
Après une courte, mais marquante discussion, Clémence suggère à Siou d’entreprendre une correspondance manuscrite. L’artiste multidisciplinaire décorée de l’Ordre national du Québec et de l’Ordre du Canada lui envoie donc un premier poème, inspiré de cette rencontre où Siou lui avait confié être comme une boîte à musique, que l’on doit « crinquer ». Siou l’intitulera plutôt Les amis authentiques, un texte qu’il mettra en chanson, comme cinq autres textes écrits pour lui de la main de Clémence au cours des 10 dernières années. C’est justement ce morceau qui devait clore le spectacle qu’il devait donner au Café du TNM en juin 2020, mais qui a été annulé en raison de la pandémie. C’est maintenant le poème qui conclut le livre du spectacle qui n’a jamais eu lieu, mais qui aura finalement permis à Siou d’exprimer encore davantage son talent — il est diplômé en arts visuels.
« Clémence m’avait suggéré d’exposer mes dessins dans le hall du TNM en même temps que mon spectacle. L’idée a fait son chemin et j’ai donc décidé d’illustrer les textes du livre avec mes dessins », nous apprend celui qui est aussi camelot-journaliste pour L’Itinéraire — il a été stagiaire à La Presse l’été dernier avec l’auteur de ces lignes. « Au début de notre correspondance, c’était difficile de lire ce qu’il écrivait et il faisait des fautes, se souvient Clémence. Maintenant, on comprend ce qu’il écrit, il a vraiment évolué. Mais comment ça se fait ? Est-ce que j’y suis pour quelque chose ? »
« Vous êtes une partie de tout ça, c’est sûr, lui répond Siou. Pour moi, ce qui a été vraiment important, c’est le contact qu’on a entretenu. Vous répondre, au début, c’était tellement difficile, juste de prendre le crayon puis essayer d’écrire. Mais je me forçais parce que j’étais trop content, je voulais vous répondre par respect, aussi ! À mesure que je me suis mis à aller mieux, l’importance que vous avez eue, c’est de me mettre en action. Quand je me force à me mettre en action, je pense à vous. »
Un objet unique
Le livre Clémence et moi est donc un objet unique, imprimé à une centaine d’exemplaires seulement, projet indépendant rendu possible grâce aux Éditions Galoche, maison de production de Clémence DesRochers et de sa conjointe Louise Colette. Il est présenté tel un programme de spectacle illustré, divisé en trois parties, la première traitant de Siou, la troisième de Clémence, et la deuxième se voulant une rencontre entre les deux artistes.
Si on écoute les paroles des poèmes, ça ne peut pas être plus profond que ça. On ne se dit pas des niaiseries, on se parle parce qu’on a quelque chose à se dire, à réparer ou à consoler.
Clémence DesRochers
Le texte Clémence et moi, l’un des trois signés par Siou dans son livre, est justement la réponse à la demande de Clémence, qui avait besoin de réconfort après avoir perdu son gros chat noir dans les premiers moments de leur correspondance.
Certains poèmes sont aussi accompagnés des accords des mélodies imaginées par Siou, la pièce Fidèle amie d’enfance est même imprimée en portées musicales — merci à Marie-Claire Séguin, qui a justement aidé Siou à mettre des notes sur ses mélodies. « La musique, pour moi, ce n’est plus un bruit, ça devient de la créativité, ça devient de l’expression, explique Siou. Et puis avec le temps, s’il y a quelqu’un qui a besoin de s’exprimer, c’est bien moi. Ça a été retenu en dedans depuis tellement longtemps que là, j’ai besoin que ça sorte, j’ai besoin de partager. Clémence m’a dit un jour : “Siou, t’as du talent, donnes-en aux autres.” Je comprends maintenant que l’important, c’est de partager, j’ai beau créer ça dans mon coin, c’est pas satisfaisant. »
Finalement, Siou pourra chanter quelques-uns des textes que Clémence lui a écrits, car l’auteur David Goudreault, directeur artistique de la Grande Nuit de la poésie de Saint-Venant, l’a invité à monter sur scène le 20 août prochain. Clémence promet d’y être.
L’organisme Les Impatients offre des ateliers de création (peinture, dessin, bédé, etc.) aux personnes vivant avec des problèmes de santé mentale. Pour célébrer ses 30 ans, l’organisme présente l’expo Enchanté-e à la galerie 1700 La Poste du 6 mai au 19 juin.
Consultez le site des ImpatientsClémence et moi
Éditions Galoche
Deux poèmes de Clémence à Siou qui font partie du livre Clémence et moi
Les Amis authentiques
La vie est une boîte à musique
Faut souvent s’crinquer les ressorts
Quand d’étranges bruits métalliques
Viennent secouer ton âme et ton corps
Quand ton cœur bat vite et trop fort
Va-t’en, va-t’en au Jardin botanique
Tiens-toi au Musée des Beaux-Arts
La Nature et les Arts
Sont des amis authentiques
Qui aident à oublier la mort
Dessine des arbres, des oiseaux bizarres
Fais chanter la boîte à musique
Va-t’en, va-t’en au Jardin botanique
Tiens-toi au Musée des Beaux-Arts
Ma vie est une boîte à musique
Faut souvent m’crinquer les ressorts
Quand d’étranges bruits métalliques
Viennent secouer mon âme et mon corps
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Chanson pour Lucas
Mon amie m’a dit :
Écris-moi une mélodie
Que tu joueras à l’harmonica
En souv’nir de mon chien Lucas
Un air que j’pourrai siffler
Sur le chemin où j’ai marché
Si longtemps
Avec lui
Maintenant qu’il est parti
Écris-moi une mélodie
Qui ressemble à la tourterelle :
Des notes noires qui l’appellent
Je l’ai promis à mon amie
Je l’écrirai sa mélodie
Je jouerai à l’harmonica
Pour son p’tit chien qui n’est plus là
Un air qui pourrait empêcher
Mon amie de pleurer !
Rectificatif
Contrairement à l’information publiée précédemment, l’exposition Enchanté. e est présentée au 1700 La Poste du 6 mai au 19 juin, non pas du 6 au 19 juin.