Politique française, espionnage russe… Difficile de ne pas penser à l’actualité brûlante en lisant le nouveau roman délirant de Louis-Bernard Robitaille.

Un président énigmatique, des décisions politiques invraisemblables, des espions russes, l’ombre de Poutine en arrière-plan…

En publiant Le double, Louis Bernard Robitaille n’imaginait sans doute pas faire écho – de façon même lointaine – à l’actualité immédiate. Mais avec la guerre qui se poursuit en Ukraine et l’élection présidentielle qui se profile en France, son nouveau roman semble étrangement très à propos.

Dans cette histoire de politique-fiction, rien ne va plus à l’Élysée. Le président, Marc-Édouard Crillon, est méconnaissable. Ne parle plus à ses proches collaborateurs. S’isole. Et prend des décisions politiques qui dépassent l’entendement.

Son entourage n’y comprend rien. Mais le lecteur, lui, apprend bien vite que le chef de l’État français est en réalité le fruit d’une habile substitution orchestrée par les services secrets russes, afin de mettre Paris dans la poche de Moscou.

« Ce qui est suggéré ici de manière fantaisiste, ce que la Russie de Poutine reste un danger public d’actualité », explique celui qui fut pendant 35 ans correspondant de La Presse à Paris, et qui mène aujourd’hui une joyeuse vie d’écrivain dans la capitale française.

C’est la seule concession que l’auteur veut bien faire à l’actualité. De son propre aveu, Le double est avant tout une histoire « totalement invraisemblable », une « fantaisie » dont l’intrigue, tout à fait délirante, doit surtout être vue comme un « petit règlement de comptes » avec la politique française.

Du blabla

Un demi-siècle après son arrivée en France, le Montréalais d’origine admet que le cirque politicien l’« amuse » de plus en plus. Mais il ne rigole pas vraiment quand on lui demande de commenter la campagne présidentielle en cours.

Hormis Emmanuel Macron, dont la victoire est pratiquement acquise, aucun candidat actuel ne trouve grâce à ses yeux, si ce n’est le communiste Fabien Roussel, qu’il décrit comme « sympathique », sans grande conviction du reste.

Jusqu’en 1985, j’ai cru que la politique française, c’était sérieux, alors que c’est vraiment du blabla. Le problème, c’est que la France s’endette et que tous les candidats font des promesses déraisonnables. Je ne pense pas que ce soit aussi démagogique dans les pays scandinaves, en Allemagne ou aux Pays-Bas.

Louis-Bernard Robitaille

Selon lui, le seul intérêt de cette campagne présidentielle sera de voir comment le paysage politique se recomposera après la réélection d’Emmanuel Macron.

« Même si on connaît le résultat à coup sûr, la suite des évènements est très énigmatique. Est-ce que le Parti socialiste va disparaître ? Qui va gagner le duel entre Zemmour et Le Pen ? Qu’est-ce qui va rester de la droite traditionnelle ? Tout le monde se prépare pour la fois d’après. C’est ça, l’enjeu… »

Un clin d’œil

Avec tout cela, on allait presque oublier de parler de littérature. Et de cet inclassable Double, qui se situe au carrefour du roman d’espionnage, du thriller politique et de la satire au huitième degré.

Louis-Bernard Robitaille ne s’en cache pas : Le double est un gros clin d’œil à l’homme au masque de fer, mythique personnage de l’histoire de France, dont la légende fut magnifiée par Alexandre Dumas dans Le vicomte de Bragelonne.

Cet hommage à Dumas est parfaitement assumé par Robitaille : l’écrivain français est un des premiers, sinon le tout premier auteur à lui avoir donné le goût de l’écriture et du romanesque.

« Pas très original, minimise-t-il. C’est le cas pour beaucoup de gens en France. »

N’empêche. On sent ici un lien affectif assez fort. Parmi les rares effets personnels qui ont suivi Robitaille de Montréal à Paris, lors de son déménagement définitif en 1972, se trouve une ancienne édition du roman Vingt ans après (trait d’union entre Les trois mousquetaires et Le vicomte de Bragelonne) qui occupe une place à part dans sa bibliothèque, par ailleurs plutôt bien fournie.

« J’ai noté la date à l’intérieur, j’avais 13 ans… C’est certainement mon plus vieux livre. C’est incroyable qu’il ait survécu », dit-il, en fouillant dans ses souvenirs.

Il s’en trouvera pour dire que Le double est trop peu réaliste, trop délirant. Mais c’était bien l’objectif de cet « exercice de style », qui représente selon l’auteur un « pas de côté » dans son parcours littéraire, qui compte une quinzaine d’ouvrages et dont le plus grand succès demeure Et Dieu créa les Français, portrait mordant de la société française publié en 1994.

On voit de notre côté le potentiel de série télé pour cette histoire abracadabrante, dont la fin ouverte appelle à une seconde saison, voire une troisième… Et quid d’une France contrôlée par Vladimir Poutine ?

On rit (un peu) rien qu’à y penser. L’Hexagone est « un pays ingouvernable », précise l’ancien journaliste.

Le dictateur russe en aurait probablement plein les bras…

Le double

Le double

Les Éditions Sydney Laurent

330 pages