« Comment je commence mon livre ? », se demande le réalisateur de vidéoclips Akim Gagnon, dans le prologue de son premier roman. « On m’a dit de ne pas tomber dans le piège d’écrire que je suis en train d’écrire. L’écrivain qui se raconte. Ça ne m’a même pas traversé l’esprit. Je suis certainement capable d’éviter ce piège et d’écrire quelque chose d’un peu plus poussé. »

Mais il se trouve que non. Il se trouve qu’Akim Gagnon n’est pas parvenu à contourner le piège d’écrire qu’il est en train d’écrire. Il se trouve que son premier roman, Le cigare au bord des lèvres, raconte l’histoire d’un écrivain que l’on observe devenir écrivain, page après page, chapitre après chapitre.

Et pour ce qui est d’« écrire quelque chose d’un peu plus poussé » ? Akim Gagnon y est assurément arrivé. « Souvent dans la vie, je fais de très mauvais choix », lance-t-il en riant, au sujet du procédé un peu éculé – l’acte d’écriture mis en récit – sur lequel repose en partie son livre. « Je fais de très mauvais choix, puis je m’en sors bien. »

Il s’en sort effectivement bien. Très bien. Même si, à l’instar du plus récent spectacle de Louis-José Houde, le livre d’Akim Gagnon aurait pu s’intituler Mille mauvais choix, tant il ressemble à un inventaire des décisions calamiteuses prises par son auteur, ou par son alter ego, qui ne dit jamais non à un énième dernier verre de trop et se garroche toujours tête première dans une nouvelle relation amoureuse.

Trou noir

Chronique de la misérable existence d’un fumeur de barreaux de chaise plus assoiffé qu’un lavabo, Le cigare au bord des lèvres est un roman bacchanales, d’un humour dévastateur, une autofiction éhontément carnavalesque sur laquelle déferlent des litres de bière Clamato, de shooters cheap et de vin orange de chez Pinard & Filles. Mais si la boisson y est parfois une fête, elle devient surtout un trou noir, qui avale peu à peu ce splendide pas-fiable, incapable d’interagir avec l’autre s’il n’a pas enfilé le masque de l’alcool.

Dans mon livre, l’euphorie de l’alcool est brève, mais elle revient souvent.

Akim Gagnon

Très souvent.

« C’est toujours la provocation qui guide l’ensemble de mes idées », regrette le narrateur du premier roman d’Akim Gagnon. C’est que, comme la grossière expression qui lui donne son titre le suggère, ce livre contient une quantité de scènes de défécation à faire rougir Rabelais.

Le bon livre

Le cigare au bord des lèvres est pourtant moins une affaire de provocation qu’une histoire d’amour entre l’écriture et un gars qui avait de tout temps rêvé du grand écran, et non de littérature. Son prénom à lui seul avait déjà quelque chose de prophétique : c’est au personnage d’Eddie Murphy dans Un prince à New York (Akeem) que ses parents ont emprunté le sien.

« Au primaire, ça détonnait entre les Jean-François et les David. Mais j’ai appris à aimer mon prénom », dit celui qui s’est imaginé devenir réalisateur dès qu’il a participé à un camp de cinéma, à l’âge de 8 ans, et à qui l’on doit aujourd’hui une trentaine de vidéoclips (notamment pour son frère VioleTT Pi, pour Klô Pelgag et pour Philippe Brach).

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

L’auteur et réalisateur Akim Gagnon

Il a 25 ans lorsqu’il tombe pour la première fois sur un livre qu’il n’a pas envie d’abandonner : Je suis un écrivain japonais, de Dany Laferrière. « Toute ma vie, j’ai eu de la difficulté à lire, je n’accrochais pas », explique-t-il à 32 ans. Nous sommes attablés dans son appartement de Villeray, à côté d’une bibliothèque permettant de croire qu’il s’empresse, depuis cette épiphanie, de rattraper le temps perdu. « J’ai toujours eu un complexe par rapport à ça. J’écrivais des scénarios de films, mais les gens qui parlaient de littérature, je les trouvais snobs. Et là, je me suis rendu compte que je n’ouvrais juste pas les bons livres. »

Nuits folles, folles

Sous toutes les couches d’autodérision, de scatologie et de cabotinage qui maculent ses chapitres, Le cigare au bord des lèvres cache donc un grand sensible, qui a un jour choisi de prendre les moyens de ne pas être emporté par le courant. Bien que les brosses proprement épiques auxquelles il se soumet donnent lieu à des passages d’une hilarante grotesquerie, deux des plus émouvantes scènes du roman célèbrent l’amour fraternel ainsi que l’amour entre un père et son fils. Tout simplement.

Mais puisqu’il s’agit d’un livre d’Akim Gagnon, ces scènes se déroulent au son de deux des chansons les plus merveilleusement niaiseuses (et irrésistibles !) de l’histoire du rock, Nookie, de Limp Bizkit, et Crazy, Crazy Nights, de KISS. Akim sourit, fier de son coup.

Autoportrait au crayon gras d’un homme à la dérive, Le cigare au bord des lèvres témoigne d’une renaissance qui n’aurait jamais été possible si son narrateur (et son auteur) n’avait pas un jour accepté de laisser son orgueil au seuil de la porte du bureau d’une psy. Sans avoir complètement renoncé aux plaisirs de l’excès, Akim Gagnon a mis de l’ordre dans son chaos.

Je pensais que je n’avais pas les moyens d’aller chez un psy, je voyais ça plus gros que c’était. Et ça a changé ma vie. Je me suis rencontré !

Akim Gagnon

« Mais c’est un travail très long, très ardu, très personnel. Ce n’est pas une solution rapide, faut que tu te donnes le temps. Et prendre du temps pour parler de soi, il y a quelque chose de vraiment puissant là-dedans. Je pensais qu’aller chez le psy, c’était se faire jouer dans la tête, mais je ne me suis jamais senti aussi fort que depuis que j’ai fait ça. »

Le cigare au bord des lèvres

Le cigare au bord des lèvres

La Mèche

344 pages