En épluchant plus de 500 livres estampillés Harlequin parus sur une période de plus de 60 ans, deux chercheuses ont tâché de déterminer comment les représentations des protagonistes apparaissant sur les couvertures se sont transformées au fil du temps et des évolutions sociales. Constat : il y a du rapprochement dans l’air. Mais pas seulement.

Réputées pour leurs histoires à l’eau de rose, les éditions Harlequin, fondées à Toronto, abreuvent de romance les Madame Bovary de ce monde depuis les années 1950. Même si le schéma de base des intrigues amoureuses reste relativement constant, les couvertures de ces ouvrages, elles, ont connu des mutations qui s’inscrivent dans l’évolution des normes sociales et culturelles.

C’est en examinant un demi-millier de ces ouvrages, parus entre 1953 et 2014, que Maryanne Fisher (professeure au département de psychologie de l’Université Saint Mary, à Halifax) et Tami Meredith (professeure de sciences de l’informatique de l’Université de Dalhousie, aussi à Halifax) ont esquissé cet infléchissement de tendances, qui s’opère à partir de la fin des années 1980.

« On observe un changement draconien qui met en valeur le couple, qui apparaît désormais seul sur la couverture. Parfois, un protagoniste y est représenté seul. Au cours des années 1950, 1960 et 1970, on pouvait apercevoir d’autres individus ou groupes d’individus, mais à mesure que l’on se dirige vers les années 1990 et 2000, on voit une focalisation sur le couple qui, au lieu de regarder le lecteur, se regarde lui-même, a plus de contact visuel direct », explique Maryanne Fisher. L’étude relève aussi des interactions physiques plus appuyées, des parties du corps plus exposées et des poses plus suggestives, comme des positions allongées – sans pour autant verser dans l’érotisme. Bref, des images plus osées et centrées sur le couple, grâce à une permissivité sociale accrue.

Permissivité sociale et aspirations

« Les images montrent de plus en plus d’intimité, ce qui est visiblement lié à un relâchement des normes socioculturelles relatives à la sexualité des femmes », interprètent les autrices en conclusion de leur article paru plus tôt cette année dans Evolutionary Behavioral Sciences.

Elles précisent que l’accent est moins mis sur les obstacles et le contexte, mais porté davantage sur la romance elle-même et ses aboutissants, comme le mariage ou une naissance. Par exemple, les femmes enceintes ont d’ailleurs commencé à apparaître sur les couvertures seulement à partir des années 2000, alors qu’elles en étaient totalement absentes avant cette période. On note par ailleurs l’émergence de représentations de femmes au statut social plus élevé, alors que les protagonistes des années 1950 à 1970 se trouvaient cantonnées dans des rôles plus traditionnels et conservateurs.

Les chercheuses décrivent également comment ces couvertures cherchent à représenter les aspirations des lectrices en matière d’idéal masculin, avec une grille d’attributs demeurée quant à elle plutôt stable au fil des époques.

PHOTO FOURNIE PAR MARYANNE FISHER

Maryanne Fisher, coautrice, indique que l’étude des romans Harlequin est une lorgnette originale sur l’évolution socioculturelle de la représentation des femmes et de leurs aspirations amoureuses.

Cela a peu changé au cours du temps, tant dans les couvertures que dans les récits, où sont dépeints des hommes de grande taille, athlétiques, disposant de moyens financiers.

Maryanne Fisher, chercheuse

Puisque ces couvertures épousent les évolutions d’acceptation sociale, découvrant davantage les corps des protagonistes sans toutefois transgresser de ligne rouge, peut-on s’attendre dans un avenir proche à observer une nudité plus appuyée ? « Je ne pense pas que le lectorat soit prêt pour ça », estime Maryanne Fisher, qui indique que ces ouvrages romantiques continuent de faire recette, tandis que les lecteurs aspirant à des menus plus épicés trouvent de quoi se mettre sous la langue dans d’autres rayons.

Harlequin, objet d’études

Ce n’est pas la première fois que les ouvrages Harlequin passent sous la loupe de chercheurs universitaires. En 1983, une étude menée par un groupe de l’UQAM s’était penchée sur le contenu et la présentation de ces livres, signalant la récurrence du type d’intrigue et de conclusion (une confrontation polémique aboutissant à une union), ainsi qu’un stéréotype de couple, mettant toujours en scène une jeune femme « ordinaire » et « naïve » flirtant avec un homme « viril et expérimenté ».

Puis, en 1997, la chercheuse Odile Lamy, de l’Université de Sherbrooke, avait aussi passé au crible les couvertures de la collection parues aux alentours des années 1980 précisément. Elle y notait leur représentation fidèle de la règle d’or d’Harlequin, soit la traduction d’« une atmosphère sensuelle légèrement tamisée, jamais érotique », mais aussi l’absence de domination masculine. Un aspect corroboré par Maryanne Fisher, qui a étudié un échantillon plus large : « Nous n’y voyons pas, au fil des décennies, d’hommes dépeints comme dominants ou adoptant une position suggérant une domination sur la femme », constate-t-elle.