On la connaissait pour la lutte acharnée qu’elle mène pour faire libérer son mari, le blogueur saoudien Raif Badawi, emprisonné depuis près de 10 ans. Après avoir raconté son histoire dans Mon combat pour sauver Raif Badawi, voilà qu’Ensaf Haidar publie ce mercredi son premier roman, La geôle des innocents, qui nous plonge dans l’effroyable descente aux enfers de deux étrangers emprisonnés en Arabie saoudite. Entrevue.

Qu’est-ce qui vous a inspirée à écrire ce roman ?

Ça fait 10 ans maintenant que Raif est en prison et que je suis toute seule. Je regardais la télé égyptienne, syrienne, du Golfe, les films, et je me trouve toujours à penser aux prisons — qu’est-ce qu’ils deviennent [les prisonniers], comment ils mangent, comment ils parlent et avec qui… Il y a beaucoup de questions dans ma tête. C’est de là que l’idée est venue.

En écrivant La geôle des innocents, pensiez-vous à Raif, à ce qu’il vit au quotidien en prison ?

Malheureusement, Raif n’a jamais parlé de ce qui se passe avec lui… Il a ses raisons ; il ne veut pas que je m’inquiète pour lui, il ne veut pas parler de la prison, ses appels sont toujours écoutés. On ne parle pas beaucoup aussi, quelques minutes avec toute la famille. J’ai posé des questions, pour vous dire la vérité, mes enfants aussi, mais on ne trouve jamais de réponses.

Avez-vous des nouvelles de lui régulièrement ?

Il appelle, mais des appels très courts, comme je disais, même pas 10 minutes… Ça devient difficile pour le moral, c’est difficile pour lui et c’est difficile pour nous aussi.

À votre avis, y a-t-il un risque de dénoncer par la fiction ?

Je pense que non, c’est un roman. Ça fait 10 ans maintenant que j’ai quitté l’Arabie saoudite. Avant, quand je parlais de liberté religieuse, de liberté des femmes, c’était vraiment une injustice pour nous. Mais maintenant, avec le prince Mohammed ben Salmane, c’est très différent… Les femmes ont le droit de conduire, elles ont plus de travail qu’avant. Moi, dans ma tête, il y a encore l’Arabie saoudite d’avant ; j’ai parlé de comment moi, je vivais avant. […] Et maintenant, j’habite au Québec, je suis québécoise… c’est libre.

Le roman sera-t-il publié en arabe, sa langue originale ?

Je n’ai pas parlé avec des maisons d’édition arabes. J’aimerais bien le traduire en allemand, en espagnol… La deuxième traduction sera en anglais, mais elle n’est pas encore finie.

Avez-vous d’autres romans en chantier ?

J’aime écrire, mais c’est la première fois que j’écris un roman et je ne sais pas si je veux continuer. Ça va dépendre si je trouve une bonne idée… Je ne sais pas encore, on va voir ce qui va arriver avec ce roman !

Vous avez aussi le projet de vous lancer en politique…

Oui, je veux représenter le Bloc québécois et Sherbrooke, ma ville depuis octobre 2013. […] Maintenant, c’est plus facile pour moi, pour mes enfants ; ma fille va avoir 18 ans, mon garçon a 17 ans… J’ai pensé représenter Sherbrooke aux dernières élections, mais c’était difficile ; cette fois, je trouve que ce sera plus facile pour moi et pour mes enfants d’être absente quelques jours par semaine.

Avez-vous encore l’espoir que Raif sera libéré prochainement pour qu’il puisse vous rejoindre ici ?

J’ai toujours espoir. Même il y a un mois… Chaque année, avant le ramadan, le roi donne le pardon à plusieurs prisonniers. J’ai toujours l’espoir pour la libération de Raif. Ça fait neuf ans qu’il est en prison, il reste 10 mois. J’ai l’espoir qu’il nous rejoigne ici, et parler de la citoyenneté canadienne pour Raif, ça aide beaucoup aussi.

* Les propos ont été édités à des fins de concision.

Le roman

Rachwan, Syrien d’origine, vit en Arabie saoudite après avoir fui la guerre dans son pays. Il se retrouve en prison après avoir enfreint les règles de la police religieuse. Râm, lui, est un travailleur indien venu gagner sa vie dans le royaume pour nourrir ses cinq enfants restés en Inde auprès de sa femme. Il est arrêté après avoir tenté de fuir son employeur, qui s’adonne à un trafic d’alcool illicite. Derrière les barreaux ou à l’extérieur, on découvre un monde interlope où la drogue circule et les échanges sexuels sont débridés, mais où tout le monde rêve de liberté.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

La geôle des innocents, d’Ensaf Haidar

La geôle des innocents
Ensaf Haidar
Traduit de l’arabe par François Zabbal
Éditions de l’Archipel
208 pages