« Marjolaine Beauchamp est un poème, dit Anaïs Barbeau-Lavalette. Dans tout ce que la poésie a de viscéral, de magnifiquement brutal et de nécessaire. Ses mots sont un chemin vers ce qu’on ne voit pas, vers ce qu’on ne nomme plus. Marjolaine Beauchamp, c’est une vraie décharge d’amour un peu sale et totalement vrai. »

Notre rédactrice en chef invitée voulait un cahier qui « grafignait » un peu, et aussi qu’on fasse découvrir aux lecteurs des artistes au parcours différent. La slameuse, poète et dramaturge Marjolaine Beauchamp répond certainement à ces deux critères.

« Est-ce que je “grafigne” ? » À l’autre bout du fil, Marjolaine Beauchamp réfléchit. « Je pense que oui. Il y a de la lumière dans ce que je fais, mais c’est sans compromis. Je crois dans l’expérimentation, l’expression populaire, la désacralisation, la remise en question des institutions et des cadres. Comme beaucoup d’artistes qui m’inspirent. »

Marjolaine Beauchamp est arrivée à la poésie après une entrée remarquée dans le slam il y a 10 ans — elle a remporté entre autres la deuxième place à la Coupe du monde de slam-poésie en France en 2010. Elle a publié deux recueils aux Éditions de l’Écrou, les percutants Au plexus et Fourrer le feu, et sa première pièce, M. I. L. F., qui a été jouée sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui au début de 2020, est publiée chez Somme toute.

Rien ne destinait Marjolaine Beauchamp à percer dans le milieu littéraire, même si elle avait toujours eu une « dose de créativité » en elle.

Je viens de la campagne, de Saint-André-Avellin. Je n’avais pas eu les outils, je pensais que pour aller en art, il fallait naître artiste.

Marjolaine Beauchamp

« Au cégep, je ne savais pas comment ça marchait, et je suis la première génération universitaire. Après, j’ai fait des rencontres, j’ai découvert des types de littérature, des gens m’ont ouvert des portes. Mais je me suis souvent demandé : pourquoi je n’ai pas eu accès à ça avant ? »

À 38 ans, mère seule, elle vit dans un HLM de Hull, les pieds bien ancrés dans la culture populaire, dans ce qu’elle a de plus vrai, cru et direct. « La vie dans mon quartier, c’est un combat. Ces femmes monoparentales, leur langage, je veux peindre leur portrait. C’est important d’en témoigner artistiquement. »

Classes sociales

Le jour de notre entretien, Marjolaine Beauchamp était d’ailleurs dans les derniers préparatifs d’une fête de quartier. Ce monde dans lequel elle vit, elle le sait, est souvent bien éloigné du monde culturel.

« Ce sont des affaires de classe, ça n’a jamais changé. Il y a toute une tranche de la culture populaire qui est méprisée. Tu sais, quand tout le monde a perdu sa job au début de la pandémie… ben nous autres, on n’en avait déjà pas, de job. »

Marjolaine Beauchamp est une sociologue dans l’âme et aime les auteurs comme Édouard Louis ou Annie Ernaux, qui « réfléchissent à leur classe, leur legs, les conflits sociaux ». Le terme « classe sociale » revient d’ailleurs vraiment souvent dans la conversation — ce qui est plutôt rare. Elle en est consciente, même si elle ne comprend pas pourquoi.

La base de ce qu’on vit comme expérience humaine est teintée de nos classes sociales. Il faut le nommer tout le temps, parce que l’expérience de vie, le narratif, est influencé par ça. Ça me passionne.

Marjolaine Beauchamp

La poète dit avoir reçu en cadeau « une bio intense », mais peut grâce à cela regarder sa vie et sa famille avec un autre œil. Pour elle, art et socio vont nécessairement de pair. « C’est une façon de faire de l’observation de terrain, de témoigner. C’est imbriqué. »

Nouveau souffle

Égérie de l’oralité et d’une certaine poésie trash au début des années 2010, Marjolaine Beauchamp sait qu’elle a fait partie, avec les éditions de l’Écrou, d’un nouveau souffle poétique. Même s’il faut « se répéter souvent qu’on n’invente rien ».

« Mais ça prend du guts pour dire : “Fuck, le cérémonial.” Et les kids, qui voulaient de la couleur, qui aimaient le mélange de pop et de poésie, de franglais et de joual, ç’a été une porte ouverte pour eux. Ils viennent nous voir dans les salons du livre, ils achètent nos recueils comme on achetait des vinyles dans l’ancien temps. »

Aujourd’hui, la poète regarde la génération littéraire montante avec joie.

« Les jeunes dans la vingtaine, ils sont tellement magnifiques. Il y en a qui vont se sentir mis en danger par la relève. Pour moi, c’est wow, je me baignerais dans ce pouding. C’est beau, c’est dérangeant, personne n’est confortable, et c’est parfait comme ça, parce qu’on remet en question plein de choses. Ça me nourrit beaucoup. »

De son côté les projets s’accumulent : après avoir parlé de maternité dans M. I. L. F. (et surtout l’avoir déconstruite), elle travaille sur une nouvelle pièce qui portera sur la masculinité et l’enfermement, et prépare un livre jeunesse abordant le sujet de la santé mentale des parents.

Bref, Marjolaine Beauchamp n’a pas fini d’égratigner l’ordre établi. Mais une chose est claire : elle ne tournera jamais le dos à la lumière.

« Ça va de soi. Le trash, ce n’est pas juste sombre : il y a 1000 nuances dans le trash. Je ne peux pas parler de ces femmes magnifiques, avec qui je vis, sans y mettre du relief. Dans le parc chez nous, il est bien plus rempli de parents que dans n’importe quel quartier riche. En sixième année, les parents attendent encore le bus avec leur enfant. Je veux être un contrepoids, je veux parler de ces choses-là, d’abord. »