Plus de 100 ans après sa première publication, l’histoire de Maria Chapdelaine alimente encore l’imaginaire des créateurs, notamment avec la sortie vendredi en salle du film de Sébastien Pilote. Nous avons cherché à connaître la place du roman de Louis Hémon dans la littérature québécoise et son enseignement.

Aurélien Boivin, professeur à l’Université Laval et essayiste qui a notamment publié les œuvres complètes et annotées de Louis Hémon en trois tomes, possède autour de 150 éditions différentes de Maria Chapdelaine. Et il y en aurait tout autant sur lesquelles il n’a pas réussi à mettre la main.

« C’est probablement le roman québécois qui a été le plus publié non seulement au Québec, mais à l’étranger », affirme-t-il. Et c’est sans compter les quatre films qui ont été produits, parmi tant d’autres adaptations – bande dessinée, pièces de théâtre –, de même que les suites qui ont été écrites à Maria Chapdelaine…

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

David Bélanger

« Sans Maria Chapdelaine, il y a beaucoup d’œuvres extrêmement importantes des années 1920 et 1930 qui n’auraient pas vu le jour », estime David Bélanger, chargé de cours au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et coauteur de l’essai Il s’est écarté : enquête sur la mort de François Paradis, à propos de l’un des prétendants de Maria Chapdelaine.

La controverse identitaire

Publié à l’origine en feuilleton dans le quotidien parisien Le Temps, en 1913, Maria Chapdelaine a fait couler beaucoup d’encre dès les premières tentatives de publication de l’œuvre à titre posthume, les éditeurs s’étant âprement disputé les droits après la mort de l’auteur, rappelle Aurélien Boivin.

Mais un débat en particulier n’a cessé de refaire surface au fil des années : Maria Chapdelaine est-il un roman québécois ? « C’est un roman qui a été naturalisé québécois très vite, alors que Louis Hémon [un Français ayant aussi vécu à Londres] a passé à peine deux ans de sa vie au Québec [les dernières avant son accident mortel] », note David Bélanger.

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La nouvelle mouture cinématographique de Maria Chapdelaine met en vedette Sébastien Ricard, Sara Montpetit et Hélène Florent.

Peut-être fallait-il justement « quelqu’un comme Louis Hémon, à l’extérieur de notre courant national, pour être capable de tirer ces fils tragiques de notre vie, de la vie canadienne », nuance David Bélanger en citant les propos de l’écrivain, journaliste et professeur Gilles Marcotte, dans les années 1960.

Selon lui, c’est la portée de Maria Chapdelaine qui justifie sa place « mythique » dans l’imaginaire québécois. « C’est une œuvre un peu organique, qui s’est transformée, avec laquelle tout le monde est un peu en dialogue. Plusieurs de mes étudiants au bac en littérature ou en enseignement connaissent Maria Chapdelaine sans l’avoir lu. Et ça, c’est le propre d’une inscription mythique d’une œuvre dans la vie d’une société », ajoute David Bélanger.

« Un incontournable »

Que Louis Hémon soit né ici ou ailleurs, cela ne change rien à l’appartenance québécoise de Maria Chapdelaine, insiste Benjamin Turcotte, enseignant au département de français du cégep de l’Abitibi-Témiscamingue. « Depuis la lecture de Je suis un écrivain japonais, de Dany Laferrière, j’aime bien cette idée selon laquelle l’écriture ne doit pas être cantonnée dans la seule provenance de l’auteur. Maria Chapdelaine représente de façon fidèle la vie québécoise de l’époque et ses mœurs, en plus d’être un portrait presque parfait de l’idéologie de conservation et du terroir. »

Pour Benjamin Turcotte, le roman de Louis Hémon fait partie de ces œuvres qu’il tient à inclure dans ses cours de littérature québécoise, même s’il n’existe pas de liste de lectures obligatoires au cégep – pas plus qu’au secondaire, d’ailleurs, malgré les revendications de certains mouvements.

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Benjamin Turcotte, enseignant au département de français du cégep de l’Abitibi-Témiscamingue

« C’est une partie vraiment importante de la littérature du terroir, qui s’étend sur presque un siècle. Et Maria Chapdelaine reste une des œuvres les plus accessibles de ce courant-là. C’est une œuvre que j’aime bien pour son petit côté un peu romancé, qui est très représentative des valeurs de l’époque, de tout ce qui était mis en place par le clergé pour faire la promotion du mode de vie habitant et agricole. Ça reste un incontournable et je pense qu’avec le recul, des années plus tard, c’est une lecture que tout le monde finit par apprécier sous une autre lumière. »

Je ne pense pas que ce serait possible de sauter par-dessus des œuvres comme Maria Chapdelaine et ensuite arriver dans la modernité de notre littérature sans pouvoir faire le parallèle.

Benjamin Turcotte, enseignant au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue

Aurélien Boivin, lui, croit que Louis Hémon était « un fin observateur », avec une plume exceptionnelle, qui n’a dénigré personne dans son œuvre et nous a montré la réalité telle qu’elle était. « Il a bien observé la population, cette communauté de Péribonka, pour lui rendre justice. Mais les critiques n’y ont pas toujours cru et ils n’ont pas toujours vu non plus l’importance de cette œuvre-là. »

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Une scène du nouveau film Maria Chapdelaine

« On n’a pas nécessairement toujours bien saisi la portée du message de Louis Hémon. Je pense que ce qu’il a voulu nous montrer, c’est que pour être un peuple, il faut occuper le territoire, il faut tenir feu et lieu, comme on disait jadis, et il faut absolument garder nos us, coutumes et traditions », ajoute le professeur, qui voit dans le livre un lien direct avec des questions qui sont encore d’actualité.

Aurélien Boivin tient à rappeler que l’œuvre a suscité de l’intérêt dans le monde entier, l’un de ses étudiants l’ayant même traduite en chinois. Le professeur attend d’ailleurs avec impatience la nouvelle adaptation cinématographique de Sébastien Pilote, qui l’a rencontré pour se documenter sur Maria Chapdelaine et discuter des personnages. Et il se réjouit de cette sortie qui permettra de braquer à nouveau les projecteurs sur le roman. Tout comme Benjamin Turcotte, qui compte profiter de l’arrivée du film en salle pour stimuler les discussions en classe autour du roman.

« L’important, c’est que cette œuvre continue d’alimenter l’imaginaire québécois », conclut Aurélien Boivin.

Appel à tous

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