« C’est la plus vieille histoire que je portais en moi », dit Dominique Demers. Lauréate du Prix littéraire du Gouverneur général en 2019, l’écrivaine publie le 15 avril Le pélican et moi, aux éditions Auzou. Un hommage à la poésie (notamment celle d’Alfred de Musset) et à la vie. Entrevue en cinq points. 

Cher pélican

La mère de Dominique Demers lui a récité le tragique Le pélican, d’Alfred de Musset, quand elle était enfant. « C’est vraiment LE poème qui a changé ma vie, indique l’écrivaine, née en 1956 à Hawkesbury, en Ontario. C’est-à-dire qu’il m’a fait vivre une émotion fracassante : les mots étaient tellement puissants. » Ce poème est connu, mais pas facile pour un enfant : « Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage, dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux… »

« Quand maman me l’a fait apprendre par cœur, vers par vers, je ne comprenais pas tous les mots, se souvient-elle. Mais je comprenais profondément. Il y a la musique des mots, qui nous porte et qui est riche de sens. Et le pouvoir évocateur des images. »

Même blessure

Si le pélican blessé de Musset est si important pour Dominique Demers, c’est parce que sa mère le récitait alors qu’elle se savait atteinte du cancer — et qu’elle le cachait. Elle est morte quand l’écrivaine avait 14 ans (dans Le pélican et moi, qui prend des libertés avec la réalité, son personnage a 10 ans lors du drame). « Ma mère est tombée malade quand j’avais 9 ans, précise Dominique Demers. Il y a eu des récidives, des récidives… Dans la vérité psychologique, ma mère est un peu beaucoup décédée quand j’avais 10 ans. »

Étonnamment, elle souligne : « C’est en écrivant que j’ai vu tous les liens qui se tissaient entre ce que maman vivait à l’époque, ce que j’ai vécu et l’idée de donner une nourriture à ses petits [qui est dans le poème de Musset]. Tout ça est hautement symbolique. Ce sont les mystères de l’existence, qui est plus grande que nous. »

ILLUSTRATION FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Extrait du Pélican et moi

Plonger dans le texte et les images

Dominique Demers a vite compris l’impact de la lecture à haute voix — sa mère était professeure de diction. « Surtout en cette période de pandémie, je voudrais que les gens ouvrent ce livre-là ou un autre livre, et qu’ils le lisent à haute voix, dit-elle. C’est tellement gratuit, c’est tellement simple de lire à haute voix, pour soi ou pour quelqu’un d’autre. De faire ce cadeau-là. C’est mon souhait le plus cher. »

Il faut aussi plonger dans les vibrantes œuvres de Janou-Ève LeGuerrier. Pour illustrer Le pélican et moi, elle a été guidée par « la force des mots » de Dominique Demers. Et par « l’amour maternel » du texte, ajoute l’illustratrice. « Je voulais transmettre l’amour que j’ai reçu comme enfant et celui que je donne comme maman », indique Janou-Ève LeGuerrier. « À chaque étape, à chaque nouvelle illustration, j’ai pleuré, témoigne Dominique Demers. Janou-Ève a saisi exactement ce que j’éprouvais. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

L’illustratrice Janou-Ève LeGuerrier

Vivre des deuils

L’expérience du deuil évolue heureusement avec le temps. « Ma peine rapetisse mais elle ne disparaît pas », écrit Dominique Demers dans Le pélican et moi. « À la limite, en vieillissant, je trouve que c’est correct que ça ne disparaisse pas, fait valoir l’écrivaine. Ça peut être triste et ça peut être beau en même temps. Quand la petite fille lit Le pélican, elle trouve que c’est grave et beau, et que cette beauté-là fait du bien. »

Trouver du sens à ce qu’on fait — et lit — est important. « Quand je dis que lire et écrire me rendent tellement heureuse, ça ne veut pas dire que je suis youpilaïe-la-vie tout le temps, nuance Dominique Demers. C’est juste que, pour moi, le bonheur, c’est une sorte d’épanouissement et de plénitude qui n’est pas faite que de joie légère. »

Lire en confinement

L’amour des mots permet à Dominique Demers de mieux traverser la pandémie de coronavirus. « Je vis seule, dit sans détour l’écrivaine. J’ai des contacts, j’ai trois enfants, cinq petits-enfants, des amis, mais je vis quand même seule. Et la pandémie seule, ce n’est pas facile. Sans les livres, je ne sais pas ce que j’aurais fait. »

Une des lectures qui l’ont accompagnée, c’est Les gratitudes de Delphine de Vigan, paru en 2019 chez JC Lattes. « Ce livre-là m’a portée pendant trois jours, témoigne Dominique Demers. En vieillissant, j’écris beaucoup. Je voudrais que les livres que j’écris deviennent, au moins pour quelques personnes, des assurances-bonheur. Des livres qui les portent. Qui les aident à supporter le difficile, comme disait Félix Leclerc. »

Le pélican et moi

Texte de Dominique Demers

Illustrations de Janou-Ève LeGuerrier

Éditions Auzou

Dès 6 ans

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D'ÉDITION

Le pélican et moi