Même si son roman Le plongeur a été publié il y a déjà quatre ans, Stéphane Larue participera aux rencontres virtuelles du Salon du livre de Montréal, car il apprécie le contact avec les lecteurs que permet ce genre d’évènement. La Presse en a profité pour le rencontrer afin de revenir sur le succès fou remporté par son roman, discuter de l’écriture du prochain, mais aussi de la pandémie et de ses répercussions pas toutes négatives.

Depuis quelque temps, Stéphane Larue avait mis fin aux activités de promotion autour de son livre à succès Le plongeur afin de pouvoir se concentrer pleinement sur l’écriture de son prochain roman, un récit dont il préfère ne pas dévoiler encore la teneur et sur lequel il s’est mis à travailler après la publication de son premier roman.

« J’ai fait de la promo pendant trois ans pour Le plongeur, c’est immense. C’est sûr que c’est un beat qui m’a éloigné de mes habitudes d’écriture. Je sais exactement c’est quoi, le livre que je veux écrire, mais il y a énormément de travail à faire dessus. Ce qui est important, c’est que j’ai retrouvé le fun d’écrire. »

Inspiré de faits vécus et de personnes réelles rencontrées par Larue lorsqu’il est devenu plongeur dans un restaurant couru de Montréal et tentait d’échapper à ses problèmes de jeu, Le plongeur a remporté immédiatement un énorme succès, qui ne se dément toujours pas, la traduction anglaise du roman, The Dishwasher, ayant remporté cet été le prix du premier roman d’Amazon Canada, qui vient avec une jolie bourse de 60 000 $. C’était d’ailleurs la première fois que ce prix était attribué à une traduction, souligne-t-il, ajoutant qu’il a travaillé étroitement avec le traducteur Pablo Strauss.

PHOTO TIRÉE D'AMAZON.CA

La traduction anglaise du Plongeur, The Dishwasher, a remporté le prix du premier roman d’Amazon Canada.

L’auteur n’aurait jamais pu imaginer, évidemment, un tel succès pour son premier roman. Soulignons l’ironie, pour un ancien joueur compulsif, d’avoir en quelque sorte gagné à la loterie littéraire ! « C’est un peu une vengeance du destin ! Ce qui m’a permis de contrôler mes problèmes de jeu, raconte-t-il, c’est que j’ai rationalisé les probabilités. Le scénario du Plongeur, il y avait 0,1 % des chances que ça arrive. Ce serait irrationnel de ma part d’attendre pareil ou mieux du prochain roman. Me mettre de la pression ne me fera pas faire un meilleur livre ! »

Le livre, objet de rencontre, objet mercantile

Avec Le plongeur, Stéphane Larue a participé à nombre de salons du livre et rencontré des lecteurs de partout issus de divers milieux, une expérience qu’il a beaucoup appréciée et qui l’a poussé à accepter de s’adonner au jeu des rencontres virtuelles pour le Salon du livre de Montréal.

« Les salons, souvent, les gens critiquent ça et trouvent que c’est un centre commercial à n’importe quoi. Mais pour beaucoup d’écrivains, c’est une occasion de rencontrer leurs lecteurs, de se rencontrer entre eux », remarque-t-il.

Bref, il n’y a pas que l’aspect mercantile dans ce type d’évènement, même si on ne peut ignorer le fait que le livre « est un objet mercantile en soi ». « C’est le premier objet répété en série de l’ère moderne. Henry Ford s’était basé, pour faire ses chaînes de montage de chars, sur les chaînes de montage de livres », nous apprend-il.

Ce grand lecteur remarque d’ailleurs combien le milieu littéraire est foisonnant et actif depuis une dizaine d’années et que les nouveaux auteurs réussissent à se faire publier, ce qui était loin d’être le cas avant. « Il y a beaucoup de jeunes maisons d’édition qui réussissent à se donner de la visibilité, il y a une surproduction de trucs le fun. »

Ce rythme effréné des sorties littéraires rend le milieu très vivant, mais il fait en sorte aussi que certaines parutions vont tomber dans l’oubli ou se retrouver dans des piles de livres qui prennent la poussière. La pandémie, note-t-il, a eu ceci de positif qu'elle lui a permis de faire du rattrapage.

« Pas que du mauvais »

Pour Larue, la pandémie n’a donc pas eu que du mauvais, même s’il a lui-même attrapé la COVID-19 cet été. « Je suis resté en quarantaine presque 20 jours, donc, en ce moment, je vis mon troisième confinement, en quelque sorte », note celui qui travaille depuis 20 ans en restauration – il est copropriétaire et barman à la Taverne Le Pélican, dans le Mile End.

« Être barman m’a toujours permis de garder l’écriture et la lecture au centre de ma vie. Mais il y a le facteur vie nocturne qui fait que l’appareil intellectuel devient un peu abîmé. Le confinement a tassé ce bruit-là et m’a permis de me concentrer sur la lecture et l’écriture. C’est un aspect positif, il faut essayer de voir ça avec philosophie. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Comme plusieurs, Stéphane Larue craint les répercussions de la pandémie sur les milieux de la restauration et de la culture.

Cela dit, il est conscient que ce n’est pas tout le monde qui vit la situation aussi bien. « Je me rends compte que je suis une bibitte qui est bien sans grosse vie sociale, mais je vois du monde qui en souffre énormément. C’est une épreuve que tout le monde vit différemment, j’essaie de rester le plus empathique possible. »

Il s’inquiète notamment des effets pervers de la situation sur le secteur de l’hôtellerie. « On comprend le bien-fondé des mesures sanitaires et la question n’est pas d’opposer l’un à l’autre, mais les effets vont être vraiment marqués dans ce secteur. Je crains que ça accélère l’embourgeoisement de Montréal, avec des business locales qui seront remplacées par d’autres qui n’ont pas leur siège social ici. »

Il y a cette injonction de se réinventer tout le temps, qu’on a beaucoup vue circuler dans le milieu culturel et de la restauration. Mais comment se réinventer encore plus quand ta job est déjà un défi en soi ? On n’a pas le monopole de la résilience, mais beaucoup de gens mettent de l’effort à tenir bon. Dans les prochains mois, il va falloir se pencher sur la santé mentale des gens.

Stéphane Larue

La consommation d’alcool et autres substances est aussi au cœur de bien des discussions en ce moment. « L’alcool, il va falloir arrêter d’être hypocrite, il a une fonction thérapeutique dans la société, lance-t-il. Pour ma part, le confinement a réduit ma consommation, parce que mes habitudes ont changé avec la fermeture des bars, mais aussi parce que je suis dans une période positive de ma vie. J’ai des problèmes de dépression et l’alcool peut autant me faire replonger que me garder à flot. C’est une fine ligne, il faut rester vigilant. »

Jusqu’au 20 novembre, Stéphane Larue participe aux rencontres virtuelles du SLM.

Petite liste de lecture pour confinés

Stéphane Larue est un grand lecteur. Pour lui, la lecture est absolument conditionnelle à l’écriture. Depuis le début de la pandémie, il a beaucoup lu et fait du rattrapage. Voici quatre suggestions tirées de ses récentes lectures.

  • Maquillée, de Daphnée B. 
« Cet essai sur le maquillage est vraiment intéressant, particulièrement les endroits qui traitent de la culture, tutoriels, YouTube, toute la communauté autour de cela, la culture des influenceurs. Elle a une observation fine de ça. C’est un des livres les plus intéressants qui est sorti cet automne. »

    IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS MARCHAND DE FEUILLES

    Maquillée, de Daphnée B.
    « Cet essai sur le maquillage est vraiment intéressant, particulièrement les endroits qui traitent de la culture, tutoriels, YouTube, toute la communauté autour de cela, la culture des influenceurs. Elle a une observation fine de ça. C’est un des livres les plus intéressants qui est sorti cet automne. »

  • Je suis l’ennemie, de Karianne Trudeau Beaunoyer
« Ce recueil de poèmes est sorti chez mon éditeur, Le Quartanier, au début de l’été. Ce sont des poèmes en prose, de petites images souvenirs qui reconstruisent une relation traumatique entre la personne qui parle et des membres de sa famille. Ça tisse une atmosphère qui appartient presque à des films d’horreur, de fantômes, qui joue sur la frontière de l'onirique. »

    IMAGE FOURNIE PAR LE QUARTANIER

    Je suis l’ennemie, de Karianne Trudeau Beaunoyer
    « Ce recueil de poèmes est sorti chez mon éditeur, Le Quartanier, au début de l’été. Ce sont des poèmes en prose, de petites images souvenirs qui reconstruisent une relation traumatique entre la personne qui parle et des membres de sa famille. Ça tisse une atmosphère qui appartient presque à des films d’horreur, de fantômes, qui joue sur la frontière de l'onirique. »

  • Chienne, de Marie-Pier Lafontaine
« En termes d’écriture fragmentaire, c’est extrêmement bien maîtrisé. Sa proposition, une autofiction, est vraiment intéressante et pertinente au sens où c’est extrêmement violent, ça n’épargne rien, mais elle-même n’a jamais été épargnée par la violence qu’elle a subie. La manière dont elle suscite le recours à la violence dans la prose est vraiment pertinente. »

    IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS HÉLIOTROPE

    Chienne, de Marie-Pier Lafontaine
    « En termes d’écriture fragmentaire, c’est extrêmement bien maîtrisé. Sa proposition, une autofiction, est vraiment intéressante et pertinente au sens où c’est extrêmement violent, ça n’épargne rien, mais elle-même n’a jamais été épargnée par la violence qu’elle a subie. La manière dont elle suscite le recours à la violence dans la prose est vraiment pertinente. »

  • Vie animale (We The Animals), de Justin Torres
« C’est un roman coming of age qui se passe dans Brooklyn. C’est tout petit, mais super efficace. C’est vraiment fort, il y a des images puissantes, avec une ascension assez forte vers la fin. C’est un beau roman sur l’enfance dans un milieu défavorisé et racisé, mais avec des marqueurs extrêmement subtils et bien amenés. »

    IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L’OLIVIER

    Vie animale (We The Animals), de Justin Torres
    « C’est un roman coming of age qui se passe dans Brooklyn. C’est tout petit, mais super efficace. C’est vraiment fort, il y a des images puissantes, avec une ascension assez forte vers la fin. C’est un beau roman sur l’enfance dans un milieu défavorisé et racisé, mais avec des marqueurs extrêmement subtils et bien amenés. »

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