Rencontre virtuelle entre deux créatrices en quête d’absolu qui auraient pu être amies

Pour souligner le 10e anniversaire de la mort de son amie Nelly Arcan, la journaliste et autrice Claudia Larochelle avait un fantasme : lui faire rencontrer une autre figure tragique de la littérature, la poétesse américaine Sylvia Plath. Cette rencontre imaginaire a eu lieu hier lors de la soirée d’ouverture du Festival international de littérature (FIL). Et il ne subsiste aucun doute : si les destins de ces deux femmes s’étaient croisés, elles se seraient comprises.

Il faut dire que les deux autrices ont beaucoup en commun : elles se sont toutes les deux suicidées dans la trentaine. Plath en 1963 et Arcan en 2009, pendant une édition du FIL, justement. Les deux créatrices ont aussi souffert de ne pas avoir été reconnues à leur juste valeur de leur vivant. Elles ont été incomprises, jugées, condamnées pour avoir rué dans les brancards et tenu des propos subversifs pour l’époque. Deux femmes à la fois incroyablement fortes et douloureusement fragiles.

Deux âmes sœurs

Dans une mise en lecture très sobre d’Alexia Bürger, Claudia Larochelle fait dialoguer les textes de Plath et ceux d’Arcan. Les deux femmes étaient de fines observatrices de leur société, sur laquelle elles ont posé un regard lucide et pénétrant. Leurs mots parlent de leur condition de femmes, bien sûr. De maternité et d’avortement. De création et de doute. De la nature. Des hommes – on n’en sort pas – et des attentes impossibles que la société impose aux femmes. Elles disent leur douleur de ne pas avoir trouvé leur place, leur incapacité à se réconcilier avec l’idée de vivre. 

Leurs textes parlent de mort et de suicide, cela va de soi. Avec la même sinistre délectation, le même souci du détail, la même anticipation exaltée.

PHOTO MAXIME CORMIER, FOURNIE PAR LE FIL

Evelyne Brochu

Blonde comme Nelly Arcan, mais à l’allure plus délicate, la comédienne Evelyne Brochu alterne entre douceur et passion. Sa lecture d’un extrait de Putain sur l’obsession des femmes pour leur image est particulièrement sentie, empreinte de rage. Lorsqu’elle évoque ces femmes « qui se brûlent tout entières pour ne plus qu’on voie les marques de la vie », le public de la Cinquième Salle de la Place des Arts retient son souffle.

PHOTO MAXIME CORMIER, FOURNIE PAR LE FIL

Alice Pascual

Les mots d’Arcan font mal tellement ils sont justes. Alice Pascual est plus réservée, une réserve qui sied parfaitement à la langue plus châtiée de Sylvia Plath. L’écrivaine américaine ne manquait toutefois pas d’humour. Certains de ses propos empreints d’ironie font sourire.

Percutante Nelly

Mais ce qu’on retient surtout de Nelly & Sylvia, c’est la puissance des mots de Nelly Arcan. Sa lucidité est sidérante. Certains textes – sur l’obsession de la jeunesse (« être jeune, c’est un idéal de vieux »), sur la difficulté pour les femmes de se définir par autre chose que leur degré de désirabilité, et même ses propos clairvoyants sur l’état de notre planète auraient pu être écrits hier tellement ils sont criants d’actualité. Ceux qui la connaissent redécouvriront la force de son propos. Et ceux qui la rencontrent pour la première fois seront secoués et chavirés par son intelligence et sa profondeur. C’est un magnifique hommage que lui rend Claudia Larochelle avec ce spectacle.

Nelly & Sylvia
Textes : Nelly Arcan (Seuil) et Sylvia Plath (Gallimard)
Idée originale, choix et montage des textes : Claudia Larochelle
Mise en lecture : Alexia Bürger
Interprètes : Evelyne Brochu et Alice Pascual

À la Cinquième Salle de la Place des Arts, ce soir, à 20 h