« Moi, dans ma tête, tout le monde m’aime », lance Mike Ward en riant. Même s’il sait pertinemment que son nom demeurera sur la liste noire de plusieurs Québécois, l’humoriste tire un trait sur son feuilleton judiciaire avec Modeste, un sixième spectacle délesté de l’acerbité de sa tournée précédente.

Sur quelle planète Mike Ward vit-il pour s’imaginer que tout le monde l’aime ? C’est que l’humoriste a construit autour de lui un salutaire garde-fou : impossible de le contacter en privé sur les réseaux sociaux. Ce qui le prémunit contre nombre de potentiels déversements de fiel. « Je ne reçois des commentaires que lorsque je fais des shows », explique-t-il en entrevue dans la deuxième salle du Bordel, là où il enregistre sa populaire balado Sous écoute. « C’est ce qui fait que je suis tout le temps entouré de bonheur. »

Et s’il a fait la paix avec le mépris qu’il continue d’inspirer chez ceux pour qui il restera l’antéchrist – « Je sais qu’il y en a qui entendent mon nom et qui viennent fâchés » –, il n’entend pas rouvrir sur scène l’épais dossier de son feuilleton judiciaire.

Cent pour cent de ce que j’avais à dire [sur le procès], je l’ai dit dans l’autre show.

Mike Ward

Une bonne partie de Noir, son précédent spectacle lancé en mars 2019 alors qu’il attendait toujours son verdict et qu’il se relevait d’une dépression, charriait une rage certaine contre certains employés de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, ainsi que contre l’univers en général. Puis, en octobre 2021, la Cour suprême tranchait en sa faveur dans ce qu’on a appelé l’affaire Jérémy Gabriel.

Exit donc l’indignation et l’acerbité : sans jouer dans les plates-bandes de Rachid Badouri, Modeste s’annonce comme un spectacle plus léger, inspiré de plusieurs histoires pas modestes du tout. Acheter des dizaines et des dizaines de billets dans la première rangée d’un affrontement du combattant d’arts martiaux mixtes Olivier Aubin-Mercier et les distribuer à ses amis ? Pas de problème ! Monter à bord d’un jet privé ? Rien de trop beau pour la classe comique !

« Je suis une contradiction là-dessus », confie celui qui, sans enfant, reconnaît ne pas vivre avec le stress financier des études et des broches à payer. « Il m’arrive d’être le gars le plus humble de la planète et, d’autres fois, je suis tellement show off. »

Mike Ward n’est pourtant sans doute pas le seul humoriste québécois à avoir les moyens de s’offrir à l’occasion ce genre de folles dépenses princières. Mais il est assurément un des rares à ne pas concevoir de gêne à en parler. C’est qu’avant que ses salles se remplissent, il a longtemps gagné sa pitance dans les bars plus ou moins bruns de la province, à une époque où le circuit des soirées d’humour n’était pas aussi balisé et confortable qu’aujourd’hui.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Mike Ward

Quand j’étais pauvre, j’aurais aimé avoir un ami un peu riche qui lance son argent par les fenêtres.

Mike Ward

Les bénéfices de l’opiniâtreté

En septembre, Mike Ward franchissait le cap des 50 ans, un jalon qu’il accueille avec sérénité. « Je me sens de plus en plus comme un des vieux dans le milieu de l’humour », dit celui qui, grâce à Sous écoute, est devenu chez ses camarades une sorte de sage du stand-up, celui vers qui l’on se tourne pour un conseil ou une idée. Au cours des derniers mois, des artistes aussi différents que Louis Morissette, Jay Du Temple et Yvon Deschamps ont confié à votre journaliste leur estime pour leur pas si haïssable collègue.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

En juillet 2022, au Centre Bell

Quand RBO a commencé, on disait : “RBO, c’est vulgaire, ce n’est pas comme les Cyniques”, et quand j’ai commencé, on disait : “Mike Ward, c’est de la marde, on est loin de RBO.” Et là, récemment, j’ai vu quelque part sur l’internet un gars qui se plaignait de la vulgarité de l’humour québécois en disant : “Ce n’est pas comme Mike Ward, au moins, lui, il avait du contenu.”

Mike Ward

Un respect que celui qui monte sur scène depuis plus de 30 ans attribue à son opiniâtreté. « Je suis arrivé à une époque où on disait que c’était impossible de vivre de mon genre d’humour, rappelle-t-il. Mais j’ai continué à faire mes affaires à ma manière, avec le soutien de mon gérant Michel [Grenier], qui s’arrangeait toujours pour que je puisse payer ma bouffe et mon loyer. »

« En vieillissant, le gars trash et vulgaire est devenu le gars intègre, qui fait les choses à sa façon, illustre-t-il. Mais la différence entre le gars intègre et le jeune trash, c’est juste le temps qui a passé. »

Parlant de temps, l’homme en noir s’étonne et s’amuse de ce que lors du dernier Gala Les Olivier, certains vétérans se soient offusqués qu’on raille l’humour, et le look, des années 1990. « S’il y a quelqu’un qui aurait dû être choqué, c’est moi : j’en avais, des culottes de cuir et une coupe hyper ridicule ! C’est un de nos gros défauts, les humoristes : c’est notre job de rire de tout, mais quand le monde rit de nous, on est susceptibles. »

Aller trop loin

Il est aisé de s’imaginer un monde dans lequel, sous l’influence de ses déboires judiciaires, Mike Ward se serait transformé en apôtre courroucé de la formule consacrée selon laquelle « on ne peut plus rien dire ». Son nouveau spectacle, dont il a amorcé le rodage l’été dernier et dont la première médiatique est prévue pour avril 2024, fera la preuve du contraire, prédit-il.

Je vois chaque soir que le public est capable d’en prendre. Dans la vie, je pense que c’est une bonne idée de se censurer, mais sur scène, je ne me censure pas. Et je pense que ça excite les gens. C’est pour ça que les humoristes dont on dit qu’ils vont trop loin n’ont jamais été aussi populaires.

Mike Ward

Mike Ward compte heureusement sur des disciples non seulement avertis, mais fervents, que Sous écoute aura beaucoup contribué à fidéliser. « Pendant un bout de temps, je sentais non pas que j’allais être complètement cancellé, se remémore-t-il, mais que je courais le risque d’être marginalisé, de devenir le gars qui était drôle dans le temps de MusiquePlus, puis qui réapparaît une fois de temps en temps. Et je pense que mes fans ont peut-être eu plus peur de ça que moi. Ça fait toujours du bien de voir quelqu’un qui tombe et qui se relève. »

Modeste

Modeste

Mike Ward

En rodage partout au Québec

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