« Ensemble on est beau, seul on est dégueulasse », répète Jo Cormier dans Animal, une ode échevelée, extravagante et souvent très drôle à la puissance collective de nos vulnérabilités, qui déroge pour le mieux aux figures imposées d’un premier spectacle d’humour.

Rien ne décrit mieux le petit pas de côté que s’offre Jo Cormier par rapport à la tradition du stand-up que le début d’Animal, son premier spectacle qu’il présentait aux médias mardi soir. Plutôt que de se moquer des chanceux assis au premier rang, comme ses collègues se plaisent souvent à le faire, l’humoriste à la pilosité peu domptée choisit de les complimenter au sujet de leurs vêtements, une occasion lui permettant de s’émouvoir que les animaux que nous sommes tous intrinsèquement se pomponnent lorsqu’ils savent qu’ils se retrouveront en présence de leurs semblables.

« Musée de l’humain », indiquait une gigantesque affiche trônant à l’entrée de l’Olympia et pointant vers le parterre. Sous-texte clair : c’est la bête humaine – bête drôlement sociale – qu’étudiera le gars de 33 ans dans ces 90 minutes de scène qui s’amorcent au son d’une fabuleuse relecture de la chanson Animal interprétée par France D’Amour à la manière d’Iron Maiden.

Notre rapport à nos animaux de compagnie, à nos téléphones intelligents, aux sports, aux toilettes, à la sexualité ; Jo Cormier fouille chacun de ces thèmes en employant chaque fois une stratégie semblable qui consiste à nommer d’abord ce en quoi l’humain a de quoi être fier, avant de mettre en lumière à quel point ce même humain n’est peut-être pas aussi supérieur aux autres créatures qu’il se le fait croire.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Jo Cormier est un critique sévère du consumérisme qui s’insinue dans tous les interstices du quotidien.

L’être humain aime vendre au point d’avoir inventé des cours de marketing, aussi bien dire des cours permettant d’apprendre « à crosser ses congénères », se désole-t-il dans un des quelques passages qui empruntent à un humour social plus incisif. C’est que, sous son costume de « Passe-Partout sur le mush », Jo Cormier est un critique sévère du consumérisme qui s’insinue dans tous les interstices du quotidien. Critique également du vedettariat.

Des tirades d’une raillerie sans appel sur la vodka de Marc Dupré et la pizza de Peter MacLeod fournissent d’ailleurs à Animal certaines de ses lignes les plus audacieuses, et les plus jouissives, les humoristes étant rares à oser critiquer des collègues qui se transforment en marchands.

Un grand cœur

« C’est normal de se jouer dans les trous », lance Jo Cormier dans un numéro au cours duquel il s’étonne de la honte que suscitent chez l’humain ses fonctions biologiques. Si le sujet de la chose fécale est exploré par de nombreux humoristes, le bel animal arrive à le renouveler en s’y intéressant de manière quasi scientifique, c’est-à-dire en vulgarisant l’échelle de Bristol (vous googlerez).

S’il s’exprime souvent avec la ferveur prosélyte d’un gourou, Jo Cormier livre pourtant un message d’acceptation de soi et d’amour de son prochain, parfaitement en phase avec son look de Jésus halluciné.

Le plaisir de l’orgasme, la joie d’une partie de hockey avec des amis et la chance de pouvoir faire nos besoins dans de l’eau potable sont tous, selon lui, des privilèges que l’être humain gâche en n’en prenant pas conscience ou en en abusant.

Une parenthèse sur la course de Guy Nantel à la direction du Parti québécois jure cependant avec le ton de l’ensemble, parce qu’elle nous ramène trop brusquement dans un ici-maintenant, alors que le reste du spectacle s’inscrit dans une sorte d’anthropologie intuitive et intemporelle. Un autre segment dans lequel Cormier s’imagine donner un cours sur le consentement à des garçons, malgré ses bonnes intentions, semble inutilement outrancier et confine davantage au malaise qu’au rire.

Au cœur d’une scène comique où les recrues de l’humour emploient dans la majorité des cas leur premier spectacle à se présenter, Animal se distingue donc en parlant de ce que l’intime a de collectif et en s’appuyant somme toute assez peu sur des anecdotes, tablant plutôt sur des parallèles loufoques et un impressionnant talent pour camper un personnage en une seule inflexion. Jo Cormier est aussi particulièrement doué pour que chacun de ses numéros porte l’empreinte de son humanisme, même s’il ne sent pas le besoin de trop surligner l’émotion.

Excessif, farfelu, imaginatif ; Jo Cormier embrasse l’inventivité de l’humour absurde, bien que sans la fréquente froideur de l’humour absurde. On ne s’étonnera pas que Si on s’y mettait, la reprise de Jean-Pierre Ferland signée Hubert Lenoir, résonne en tombée de rideau, Jo Cormier étant sans doute lui aussi d’avis que nous gagnerons « à prêcher par le beau », un plaidoyer dont il ne faudrait pas sous-estimer la teneur subversive.

Ne reste plus qu’à le supplier de ne jamais devenir docile.

Animal

Animal

Jo Cormier

En tournée partout au Québec

7,5/10