Vingt-cinq ans après l’unique et catastrophique représentation de son spectacle Chaos, en 1997, Michel Courtemanche renoue avec la scène à l’animation d’un gala ComediHa! Fest-Québec. L’humoriste raconte comment il a vaincu son trac maladif et pourquoi son talent « n’est pas tombé sur la bonne personne ».

« Je n’ai pas pris la bonne sortie. » Michel Courtemanche parle non pas d’une balade sur l’autoroute, mais de sa trajectoire de carrière. Une lente bifurcation qui s’amorcera tôt : l’ado jouait déjà les mimes auprès de ses amis, aux moments les plus (ou les moins) opportuns. « À la poly, on fumait des gros battes, et quand le monde était ben gelé, je faisais comme si j’étais en arrière d’une vitre. »

Véritable Mario Lemieux du MIM (le Mouvement d’improvisation de Montmorency, fondé par un certain Claude Legault), il aboutit, comme on s’abandonne au courant d’une rivière plus puissante que nous, sur la scène du Club Soda en 1986, pour une audition aux Lundis Juste pour rire. Son inoubliable numéro du Batteur, joué l’année suivante au festival du même nom, le lance en orbite. Il ne reviendra sur Terre qu’une décennie plus tard à la suite de l’unique représentation, avortée en plein vol, de Chaos, le 17 juillet 1997, un spectacle improvisé au titre douloureusement ironique, compte tenu du vrai chaos qui régnait dans sa tête et sa vie.

Mais, contrairement à la croyance populaire, ce n’est pas le 17 juillet que Michel Courtemanche est monté pour la dernière fois sur scène, mais plutôt le 21 juillet 1997, à l’occasion d’un spectacle sous les étoiles dans le Vieux-Port. Malgré sa critique essentiellement élogieuse, la journaliste de La Presse Suzanne Colpron écrivait : « On sent qu’aujourd’hui, il est prêt à passer à autre chose, mais que cet autre chose n’est pas encore tout à fait clair dans son esprit. En un mot, il se cherche. »

Elle évoque également « l’insistance et la ferveur du public qui refusait de le laisser partir » ainsi qu’un nouveau numéro offert au rappel, celui du « héros super fatigué ».

Un héros super fatigué, c’est précisément ce qu’était alors Michel Courtemanche. Si bien que, même si les propositions se sont multipliées, il n’en démordra pas : les spectacles, pour lui, c’était fini.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Courtemanche, 27 ans, en octobre 1992

« J’avais des offres, oui, mais je m’en câlissais, je n’en avais rien à foutre, ça ne pouvait pas être plus clair », se souvenait-il récemment lors d’un long entretien dans un café d’Outremont, son ancien quartier.

On me pressait le citron, mes problèmes de santé mentale n’étaient pas encore diagnostiqués. Ça n’allait pas bien. Le milieu dans lequel j’évoluais était malsain.

Michel Courtemanche

Chaque fois qu’il aura à prononcer les mots Juste pour rire, son ancienne boîte, l’humoriste simulera un haut-le-cœur, même si le Groupe Juste pour rire, en 2022, a peu à voir avec celui qui l’a propulsé à la fin des années 1980.

« Fallait que j’arrête, sinon je me perdais. J’ai refusé des grosses affaires, mais il fallait que je prenne du temps pour moi. »

Michel et Courtemanche

Pourquoi, 25 ans après avoir déserté les planches, Michel Courtemanche a-t-il accepté d’animer un gala à ComediHa! Fest-Québec et de révéler un numéro inédit d’humour visuel — du bon vieux Courtemanche ! — durant le gala d’Anthony Kavanagh ?

Rappelons d’abord qu’il avait déjà retrouvé la scène en 2019, dans un numéro surprise imaginé avec le Français Kev Adams, et en 2016, en reprenant Le batteur, pour en souligner le 30e anniversaire, mais surtout pour que ses neveux et ses nièces puissent voir mononcle en action ailleurs que dans un salon.

Malgré ces nobles intentions, l’expérience avait été pénible. « À la fin, je le jouais comme si je n’avais plus de jus et je n’avais véritablement plus de jus », se remémore-t-il.

« Michel était nerveux, et après son numéro, il était à ça de perdre connaissance. Si Mario Jean ne l’avait pas soutenu, je suis sûr qu’il serait tombé parce qu’il n’avait plus de jambes », confie son frère Jean dans Face à faces (KO Éditions, 2018), la fascinante, tragique et parfois troublante biographie de Courtemanche signée Jean-Yves Girard.

« C’est mon trac qui avait été éprouvant, en fait. Je voulais mourir avant d’entrer sur scène », précise le principal intéressé. Depuis sa seconde et ultime tournée, l’homme au faciès béni partageait son quotidien, dès le réveil, avec un trac digne d’une chape de plomb. La simple idée de participer à une émission de télé en direct le pétrifiait au point de préférer refuser toute invitation du genre.

« C’est un vieux réflexe de défense qui s’est envenimé avec les années. C’était relié au fait que j’avais peur que les gens ne m’aiment pas, même ceux qui avaient payé des billets. J’avais l’impression qu’il fallait que je les gagne tous les soirs. » Les hordes d’admirateurs en pâmoison qui l’attendaient systématiquement à son arrivée dans un théâtre français, plutôt que d’apaiser cette crainte, ne feront que l’exacerber.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Michel Courtemanche

Il y avait Michel, le gars, et Courtemanche, la vedette, que les gens adulaient. Mais c’est comme si Michel n’avait jamais été capable de rattraper Courtemanche. Les gens me voyaient à un niveau, et moi, je me sentais ben en dessous.

Michel Courtemanche

Mais grâce à un hypnologue, l’humoriste est parvenu, au cours des dernières années, à se réapproprier l’énergisant état de fébrilité dans lequel il se trouvait quand il s’apprêtait à fouler une patinoire d’impro, à ses débuts. Des circonstances qui lui ont permis d’accepter avec joie l’invitation de ComediHa!, même s’il ne faut pas espérer un véritable retour.

« Là, c’est le fun parce que c’est épisodique. Mais l’humour, ce n’est pas ça que je voulais faire dans la vie. Moi, je voulais être réalisateur », dit celui qui a étudié dans le domaine et qui a plus tard dirigé le plateau de la série Caméra Café.

PHOTO PATRICK SANSFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Courtemanche sur le tournage de l’émission Les Sansfil, en 2008

« Le talent n’est pas tombé sur la bonne personne. Je n’étais pas fait pour la tournée, pour me déraciner du Québec. Moi, j’aime ça faire rire les gens dans un souper, mais faire la même affaire, soir après soir, pendant trois ans, je trouvais ça plate en estie. Ce n’était pas très créatif. »

La veste de Tania

À 57 ans, Michel Courtemanche semble en forme comme il ne l’a jamais été au cours du dernier quart de siècle, effet salutaire des entraînements qu’il a repris afin de se préparer pour son gala. L’homme prend soin de son corps, vient régulièrement en aide aux personnes vivant comme lui avec la bipolarité et croule sous les projets, dont un spectacle attendu pour 2023 dans lequel de jeunes humoristes interpréteront ses numéros les plus mémorables.

Mais Michel Courtemanche répugne moins qu’avant à laisser tomber son armure. Une question presque banale, en fin d’entrevue, au sujet de sa mythique veste sans manches, le plonge pendant quelques minutes sous les larmes.

Michel explique qu’autour de 1996, une adolescente suisse qui se remettait d’un cancer, Tania, avait demandé de le rencontrer. C’était son rêve d’enfant. « Elle m’était arrivée avec plein de cadeaux qu’elle avait faits, dont une veste comme la mienne. Récemment, j’ai retrouvé la veste dans une boîte. Je n’avais jamais pu la mettre, parce que j’avais arrêté, et j’ai décidé de le faire, pendant le gala d’Anthony. »

Michel s’essuie les yeux avec ses paumes. « Je ne sais pas ce que Tania est devenue, mais j’aurais aimé lui dire que sa veste, je vais la mettre, finalement. »

Pourquoi Michel Courtemanche remonte-t-il sur scène ? Cette raison serait à elle seule suffisante.

Le Gala ComediHa! de Michel Courtemanche, le 12 août à 19 h 45 au Théâtre Capitole

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