Peu après la naissance de Sous écoute, la populaire balado que Mike Ward transportera vendredi sur la scène centrale du Centre Bell, son ami Guillaume Wagner lui confiait avoir lui aussi songé à créer sa propre balado. « Guillaume m’avait dit : Je vais laisser faire, on ne peut pas être deux humoristes avec des podcasts ! »

La retenue de Guillaume Wagner apparaît spécialement absurde en 2022, alors qu’il semble impossible pour un humoriste d’exister sans animer sa propre balado. Là tient sans doute la principale réussite de Sous écoute, fer de lance de l’avènement d’une réelle baladosphère québécoise.

« Chaque fois que quelqu’un était bon comme invité à Sous écoute, je lui disais : “Pars-toi un podcast” », raconte Mike Ward, rencontré au Bordel, là où il a enregistré depuis août 2015 quelque 400 épisodes de son émission réunissant deux humoristes autour de plusieurs verres, le temps d’une longue conversation oscillant entre l’essentiel et le n’importe quoi.

Je pensais que les podcasts, ça pouvait pogner autant qu’aux États-Unis, mais je savais qu’il fallait qu’il y en ait autant ici que là-bas pour que ça lève.

Mike Ward

Jerr Allain, Jay Du Temple, Sam Breton, Guillaume Pineault, Michelle Desrochers, Les Denis Drolet et même Guillaume Wagner lui ont tous depuis emboîté le pas avec des balados aux tonalités diverses. « Ils ont peut-être bénécifié de Sous écoute, pense l’hôte, mais Sous écoute a aussi vraiment bénéficié de la vague créée par tous les autres. »

L’importance des connaisseurs

C’est en 2011, en observant l’essor de WTF, l’influente balado de l’Américain Marc Maron, que Mike Ward renoue avec un vieux rêve : permettre au grand public d’entendre les propos, parfois très sérieux, qui meurent habituellement entre les quatre murs de la loge d’un comedy club. Sous écoute connaîtra ainsi sa première vie, embryonnaire, dans une version enregistrée par Skype.

« Les Québécois, on est le peuple qui aime le plus l’humour, mais je trouvais que le public aimait tellement l’humour qu’il en laissait passer. Souvent, je voyais des humoristes que je trouvais mauvais et ils avaient des gros rires », explique-t-il.

Dans ce temps-là, on entendait encore des humoristes dire en entrevue : “Moi, dans la vie, je ne suis pas drôle.” Mais pourquoi tu fais ça comme métier ? C’est comme si tu disais : Moi, je suis chef, mais dans la vie, je ne sais pas comment faire un sandwich.

Mike Ward

En plus de vouloir « montrer c’est qui les vrais drôles », Mike Ward espérait faire la preuve une fois pour toutes que son humour ne se résume pas à une enfilade d’injures et d’obscénités. Bien que ceux qui lui souhaitent le pire demeurent nombreux, cette ambition obtiendra un indéniable succès : Sous écoute récolte environ 400 000 écoutes uniques par semaine et a permis à ceux qu’on appelle les comedy nerds – les connaisseurs d’humour – de se multiplier.

« Avant, mon public, c’était beaucoup du monde qui disait : “Asti, lui, il me fait rire, parce qu’il sacre.” Ça ne me dérangeait pas, mais me semblait que ce n’était pas juste des sacres, ce que je faisais. Il y avait quand même des gags, une réflexion. Je me disais : la seule façon qu’ils s’en rendent compte, c’est s’ils m’entendent parler de mon processus avec d’autres humoristes. »

La nécessaire liberté

Adolescent, Mike Ward chérissait sa cassette copiée d’un épisode de l’émission d’Howard Stern, enregistrée « par un ami ou un ami de mon frère ». « C’était de la radio un peu trash, en plein mon genre », se souvient-il. De la radio où personne ne connaissait le sens du mot interdit.

Tout le contraire de la radio commerciale québécoise, sur les ondes desquelles le trublion a déjà sévi, à ses débuts, comme chroniqueur remplaçant. « Après deux jours, on me disait : “T’es vraiment bon”, et après cinq jours, on me disait : “Oublie pas Mike, c’est Martine, 34 ans, résidante de Beauharnois, qui écoute l’émission.” »

C’était quoi, le problème ?

J’étais trop hard et je critiquais les patterns radio. L’animateur présentait une toune en disant : “Celle-là, je l’aime vraiment”, et je répliquais : “Ah ouain, sérieusement, t’aimes cette toune-là ?”

Mike Ward

Sous écoute ne répond pour sa part à aucune contrainte et peut aussi bien accueillir le vulgaire que l’émouvant, le pertinent que le loufoque, l’octogénaire Yvon Deschamps que la vingtenaire Mégan Brouillard. Toute proportion gardée, un passage dans la balado d’humour francophone la plus regardée sur YouTube est, pour les jeunes humoristes québécois, ce qu’une visite au Tonight Show de Johnny Carson était pour les comiques américains dans les années 1970 et 1980.

« Ça m’a toujours fait capoter, les vieux humoristes pas gentils avec les jeunes », s’exclame Mike Ward, 48 ans, spécialement fier de son rôle de parrain de la relève.

Mais au-delà de cet aspect altruiste, Sous écoute aura aussi beaucoup aidé Mike Ward lui-même en lui permettant d’afficher sa sensibilité et en le maintenant du bon côté des choses, au plus grave de sa dépression causée par ses problèmes judiciaires. « C’est Sous écoute qui m’a gardé vivant », confie-t-il, bien que le souvenir de certains enregistrements soit aujourd’hui flouté par le torrent de vodka-coke diète qu’il éclusait.

Un legs improbable

C’est alors qu’il présentait Sous écoute au ComediHa ! Fest-Québec, sous un chapiteau à la porte duquel des centaines de spectateurs étaient refoulés, que naît l’idée suprêmement farfelue d’un enregistrement au Centre Bell. « Au début, on se disait que ce serait encore plus drôle si on vendait seulement 43 billets », blague Ward. Vingt mille sept cents sièges ont, heureusement ou malheureusement, trouvé preneurs pour l’instant (sur une possibilité d’environ 22 000), le record mondial du plus grande nombre de paires d’oreilles réunies pour la captation d’une balado.

Toujours 100 % indépendant, Sous écoute est désormais, grâce à la publicité, à la vente de billets et aux abonnements sur Patreon, le principal gagne-pain de Mike Ward. Plusieurs producteurs auraient tenté depuis 2015 d’en acquérir les droits.

La meilleure offre qu’il a reçue ? « 7,5 millions », répond-il. Le journaliste sursaute. « Call Her Daddy [balado américaine sur la sexualité] venait de signer avec Spotify pour 60 millions. J’ai dit à ceux qui m’avaient approché : “Si vous m’arrivez avec une offre en bas de 10 millions, je vais le prendre comme une insulte.” Ils m’ont offert 7,5, mais je ne l’ai pas pris comme une insulte. »

Après avoir songé à la vie douillette que pareil pactole lui permettrait de s’inventer, Mike Ward s’est rappelé qu’il a mis au monde Sous écoute afin de goûter à une liberté qu’il n’avait jamais rencontrée dans les médias traditionnels. La troquer contre de l’argent équivaudrait à trahir l’essence de la balado, qu’il considère comme son testament artistique.

« Jean-Thomas [Jobin] m’a déjà dit : “Je pense que ça va devenir le projet le plus important de toute ta vie.” Je lui avais répondu : “Voyons donc ! Je suis sur YouTube et je bois devant le monde.” Mais je pense qu’il a raison. Dans 20 ans, quand on va parler de moi, on va encore parler de mon procès, mais peut-être que Sous écoute va arriver égal. »

Seul le tribunal du temps le dira.

Mike Ward Sous écoute, le 22 juillet à 20 h, au Centre Bell

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