Cherche quelque chose de vrai, pas quelque chose de drôle. C’est en faisant de cette phrase sa devise que Jay Du Temple construit en ce moment son deuxième spectacle, d’un ton parfois radicalement intime, qu’il étrennera 11 soirs au Zoofest.

Samedi 2 juillet. Sous les projecteurs du Théâtre MainLine, une salle d’une centaine de sièges du boulevard Saint-Laurent à Montréal, Jay Du Temple est vêtu de noir de pied en cap et arbore une moustache à la Anthony Kiedis. Au micro, l’humoriste est cependant beaucoup plus posé que le simiesque chanteur des Red Hot Chili Peppers.

« J’ai toujours été habillé assez léger sur scène, parce que je bougeais beaucoup », explique l’artiste de 30 ans, rencontré dans un café du centre-ville quelques jours plus tard.

Quand j’ai recommencé à jouer au début de l’année, je portais tout le temps un coton ouaté, et le but, c’était de ne pas avoir à l’enlever, de ne pas avoir chaud. Mon but, c’était de parler pareil sur scène que dans la vie, d’être relax.

Jay Du Temple

Cherche quelque chose de vrai, pas quelque chose de drôle, lui dit un jour un ami, le comédien Guillaume Girard. « Et je ne me suis pas enlevé ça de la tête », confie celui qui présente de bout en bout son deuxième spectacle, encore orphelin de titre, depuis quelques semaines seulement.

Jay Du Temple parle moins, bien sûr, de la vérité bêtement factuelle de l’anecdote survenue pour vrai que de la vérité du cœur et du ventre. « Ça avait du sens que les conversations que j’ai dans la vie, avec mes amis, je les amène sur scène, que j’écrive à partir de ce qui m’habite le plus. »

Éviter la moutarde

Qu’est-ce qui habite Jay Du Temple ? Dans cette nouvelle heure de matériel, qui marque son retour sur les planches depuis la fin de sa tournée Bien faire au Centre Bell en janvier 2020, le jeune homme scrute sous tous leurs angles les écueils auxquels ses plus récentes relations sentimentales se sont heurtées, pour arriver à la conclusion que le problème tient en grande partie à sa crainte chronique de déplaire.

Sans détour ni faux-fuyant, l’humoriste fouille profondément en lui et traite moins, au final, de relations hommes-femmes que de ce long et éternel processus qui consiste à faire la paix avec l’amour, mais aussi à faire la paix avec soi-même, avec l’héritage de ses parents ainsi qu’avec ses premières blessures.

Proposition nichée ? Pas du tout. Mais, c’est clair, l’animateur d’Occupation double aurait écrit un autre type de spectacle, beaucoup moins ambitieux, s’il avait simplement cherché à faire rejaillir sa popularité télé sur ses ventes de billets, partout en province. Il épouse ainsi très finement cette tendance, traversant le milieu de l’humour anglo-saxon, à trouver sa matière première dans l’intime.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Jay Du Temple, au Théâtre MainLine

Tester les versions brutes de ce long récit aura même provoqué quelques moments de malaise dans différentes soirées d’humour, alors que l’auteur tentait encore de calibrer son ton. « Il y a des gens à Verdun qui en savent beaucoup trop sur moi », lance-t-il en exagérant un peu, ce deuxième tour de piste ne contenant rien qui pourrait faire frétiller les potineurs du web.

Outre quelques clins d’œil de bon aloi à son affection pour le vernis à ongles et aux doutes que suscite parfois son hétérosexualité, c’est au fils de Nicole et d’Yvan, et non à la personnalité publique, que ce spectacle permet d’avoir accès, mais avec comme heureuses conséquences qu’un zoom in aussi prononcé se transforme en portail vers une forme d’universalité.

« C’est peut-être moi qui me juge, mais j’ai longtemps eu l’impression que les gens que j’admire n’aimeraient pas mon matériel. Et là, je me suis surpris à prendre un pas dans leur direction », dit-il en prenant bien soin de préciser, de peur d’apparaître prétentieux (une de ses hantises), qu’il ne se compare pas à eux.

Les humoristes qui inspirent Jay ? Il évoque Jerrod Carmichael, dont le plus récent spectacle filmé, le puissant Rothaniel, est livré en position assise, sur un ton digne d’une confidence à la chandelle. Garry Shandling, défunte légende du rire américain, que le Québécois découvrait grâce au documentaire de Judd Apatow, et pour qui l’humour était une sorte de quête spirituelle. Mike Birbiglia, qui conjugue la poésie d’une balado comme This American Life à une maîtrise de la scène témoignant de nombreuses années d’impro.

L’humour, souligne Jay Du Temple, est une des rares formes d’art, sinon la seule, où le public est partie prenante de la naissance d’une œuvre, où les créateurs soumettent morceau par morceau leurs fragments de monologues à l’épreuve du réel. Un processus essentiel, mais pas toujours de bon conseil, observe-t-il.

« Je ne veux pas être celui qui dit que si le public ne rit pas, ce n’est pas grave, mais c’est facile de prendre la tangente inverse en mettant trop de moutarde où ça rit. Le réflexe dans le travail, c’est d’ajouter des jokes, mais j’essaie toujours présentement de revenir à ce que je raconte. Mike Birbiglia peut finir un bit explosif sur une phrase pas drôle, qui marque un temps dans l’histoire, et comme spectateur, je ne suis pas ennuyé. Ça fait, au contraire, que je m’attache encore plus. »

Artiste assumé

Jay Du Temple emprunte manifestement la voie d’un Louis-José Houde, qui se permet des activités extracurriculaires (cinéma, télé), mais pour qui l’espace scénique est celui, inviolable, de l’absence de compromis.

« J’ai besoin de me repousser créativement, et c’est dans le stand-up que ça se passe. Mais quand on me demande : est-ce que tu fais ce spectacle-là en réaction à OD ? la réponse, c’est non. On est tous multiples », plaide celui qui avait jusqu’à tout récemment de la difficulté à embrasser le mot artiste.

Avant, c’est comme si je ne me sentais pas à la hauteur. Ça ne fait pas longtemps que j’assume le fait que ce que j’aime le plus, c’est avoir une bonne idée. À un moment donné, j’ai compris que j’avais tellement peur pour rien d’avoir l’air tête enflée.

Jay Du Temple

« Je ne veux pas diminuer le travail que j’effectue à OD, mais c’est très confortable, poursuit-il. Il y a une équipe autour de moi qui m’habille, on m’écrit des lignes. C’est beaucoup de plaisir, mais c’est très confortable. »

Et le confort, pense Jay, est l’ennemi du drôle, qui jaillit généralement dans la foulée de l’adversité, petite ou grande, banale ou existentielle. Il se rappelle la joie qui avait envahi son ami Guillaume, à un curieux moment.

« Quand j’ai acheté ma maison, j’avais beaucoup de rénovations à faire et il y avait plein de choses qui ne marchaient pas. J’étais un peu choqué, et Guillaume était tellement content. Il me disait : “C’est bon que ça t’arrive, tu vas rester drôle.” »

« Just be Garry. » Garry Shandling ponctuait ses luxuriants carnets de notes de ces trois mots, lui rappelant qu’il n’existait d’épanouissement possible que dans l’assomption de sa pleine identité. Voilà la belle et gigantesque tâche à laquelle Jay Du Temple s’attèle. « Ça m’aide beaucoup de me répéter ça, de me dire que je peux juste être moi-même. »

Les 14, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 24, 25, 26 et 28 juillet à la Balustrade du Monument-National.

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