Ricky Gervais provoque depuis quelques jours une vive controverse avec SuperNature, son nouveau one man show qualifié de « transphobe ». En regardant le spectacle sur Netflix, on comprend rapidement ce qui a mis le feu aux poudres.

Après seulement quatre minutes, l’humoriste britannique plonge au cœur du sujet en s’adressant aux femmes, mais pas à toutes les femmes…

« Je veux dire, les anciennes femmes, celles avec un utérus. Ces dinosaures. J’adore les nouvelles femmes, cela dit. Elles sont géniales, n’est-ce pas ? Celles qu’on voit depuis peu, avec des barbes et des pénis… »

Quelques minutes plus tard, en évoquant la culture du bannissement, Gervais persiste et signe. « La pire chose qu’on peut dire aujourd’hui, c’est : “Les femmes n’ont pas de pénis.” Qui aurait pu prédire ça ? »

Vers la fin du spectacle, entre deux critiques du mouvement woke, le sexagénaire en ajoute une couche en déclarant : « Pour tout vous dire, je défends les droits des personnes trans. Je défends les droits de la personne, donc je défends les droits des personnes trans. Épanouissez-vous. Utilisez les pronoms de votre choix. Choisissez le genre qui vous correspond. Mais aidez-moi, mesdames. Faites votre bout de chemin et laissez tomber votre pénis. C’est tout. »

« Délire anti-trans »

Aux États-Unis, GLAAD, un organisme de défense des droits des personnes gaies, lesbiennes et transgenres, a qualifié les blagues de Ricky Gervais de « dangereux » délire anti-trans. Dans un communiqué, l’association a reproché à Netflix d’héberger un spectacle qui encourage des actes violents et haineux, contrairement aux politiques dont s’est dotée la plateforme.

Sur Twitter, les messages accusant l’auteur des séries The Office et Afterlife de transphobie abondent… exactement ce que le principal intéressé avait anticipé. À quelques reprises dans SuperNature, Gervais parle directement aux « indignés », soulignant qu’il se moque de leurs plaintes.

Ces gens s’inventent une vertu. Ils tentent d’élever leur statut en écrasant les autres. Ils prétendent qu’ils “protègent les minorités”, comme si elles n’avaient pas d’humour. C’est tellement condescendant !

Ricky Gervais

« Je sais ce que c’est d’être en infériorité numérique, ironise Gervais. [Au Royaume-Uni], on n’a que 5 % de Noirs, 5 % d’Asiatiques et 5 % de LGBTQ. C’est peu. Je suis un homme blanc hétéro et multimillionnaire. On est moins de 1 %. Est-ce que je me plains ? Non. »

Un sujet « facile »

La controverse entourant Ricky Gervais rappelle évidemment celle concernant Dave Chappelle. L’automne dernier, l’humoriste américain s’était retrouvé au cœur d’une tempête médiatique après la sortie – également sur Netflix – d’un spectacle solo intitulé The Closer qualifié lui aussi de transphobe. « Le genre est un fait », soutenait le stand-up comique sur scène.

Les personnes trans sont de plus en plus la cible des humoristes. « La transidentité, les non-binaires… Ça fait partie de l’actualité depuis quelque temps. C’est un sujet facile », indique Samuel Desbiens, directeur général de TRANS Mauricie/Centre-du-Québec, une organisation qui soutient, dirige et accueille les personnes trans et leurs proches.

D’après Samuel Desbiens, les personnes transgenres sont « capables de rire d’elles ».

Ce n’est pas défendu de rire de l’identité de genre, comme ce n’est pas défendu de rire de n’importe quel sujet. Mais il y a une façon d’amener les choses.

Samuel Desbiens, directeur général de TRANS Mauricie/Centre-du-Québec

Pour Christelle Paré, directrice pédagogique de l’École nationale de l’humour (ENH) et professeure au département de communications de l’Université d’Ottawa, l’intention derrière la blague compte pour beaucoup.

« Quelle est l’intention derrière la blague ? Est-ce que c’est de blesser pour blesser ou c’est pour pousser la réflexion plus loin ? L’humour gratuit, frapper sous la ceinture, c’est ce qu’on apprécie le moins. Quand l’intention n’est pas claire, ça génère habituellement les plus grosses controverses. »

On DOIT rire de tout

Malgré les polémiques (Ricky Gervais, Dave Chappelle, Mike Ward), l’ENH continue d’enseigner non seulement qu’on peut rire de tout, mais encore qu’on DOIT rire de tout. Au spectacle des finissantes et finissants de l’établissement, mercredi au Club Soda, la diversité sexuelle faisait partie des sujets abordés sur scène, tout comme la santé mentale, le suicide ou encore la misogynie.

« L’humour critique est un aspect extrêmement important de notre vie sociale, de notre vie politique, indique Christelle Paré. À travers la recherche, on voit clairement que l’humour est un énorme véhicule pour transmettre et pour négocier les règles du vivre ensemble, nos constructions sociales. »

Fait à signaler : l’hiver dernier, alors que Dave Chappelle défrayait la chronique, Christelle Paré a organisé une discussion ouverte avec l’ensemble des étudiants. Les résultats l’ont rassurée.

« On a eu toute une discussion, raconte la directrice pédagogique. Chacun a été capable de débattre son point. Ça m’a confirmé à quel point la nouvelle génération d’humoristes a quelque chose à dire. Ils ont connu le printemps érable, la COVID, le mouvement #metoo, Black Lives Matter… Ils veulent s’exprimer. Ils n’ont pas peur. »

SuperNature, de Ricky Gervais, est présenté sur Netflix.

Extraits du spectacles de Ricky Gervais

« Je défends les droits des personnes trans. Épanouissez-vous. Utilisez les pronoms de votre choix. Choisissez le genre qui vous correspond. Mais aidez-moi, mesdames. Faites votre bout de chemin et laissez tomber votre pénis. »

« Le risque, c’est qu’à force de vouloir être politiquement correct, et plus woke que l’autre, on décide un jour qu’on ne peut plus dire “pédophile”. Parce que c’est désobligeant. C’est offensant envers les gens accros aux enfants. »

« Plus rien n’est considéré comme fou. Tout n’est que syndrome, dépendance ou préférence. Je pourrais troquer mes jambes pour des roues et m’identifier à une poussette. »

« Dans certains clubs, l’humoriste doit signer un papier attestant qu’il ne dira rien de polémique ou d’offensant. Ça transforme les clubs en safe spaces pour l’auditoire. J’ai essayé, mais j’ai détesté. J’ai décidé que j’aimerais mieux regarder Louis C.K. se masturber. »