Elle a été pendant dix ans la principale fournisseuse de gags de l’émission d’humour la plus populaire au Québec. Elle fait figure de pionnière au sein d’un milieu qui compte encore trop peu de femmes. Rencontre avec une autrice comique qui sait encore faire rire.

À 85 ans, Louise Bureau n’a rien perdu de son timing, d’une exquise précision. Quel dommage que vous ne puissiez pas entendre la pause, d’une longueur parfaite, qu’elle laisse se dilater entre les deux bouts de phrases ci-dessous ! Elle confiait alors la place essentielle que l’humour a occupée dans sa vie, même avant que les rires lui permettent de la gagner.

J’ai toujours épousé mes hommes par humour, plutôt que par amour [pause parfaite], c’est ce qui fait que ça ne durait pas longtemps ! L’humour partait et ce n’était plus drôle.

Louise Bureau

Mme Bureau, qui a été mariée quatre fois, est au tournant de la quarantaine lorsqu’elle épouse (en 1976) Gilles Richer, un personnage majeur de l’histoire du petit écran québécois, qui a notamment créé Moi et l’autre, Chère Isabelle et Poivre et Sel. Elle avait jusque-là travaillé comme recherchiste à Télé-Métropole et comme journaliste pour Le Journal de Montréal et Échos Vedettes.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Louise Bureau

« Un jour, Gilles me dit : “Pourquoi tu ne travaillerais pas avec moi ?” Parce que je ne m’en sens pas capable ! Il m’a répondu : “Voyons, Louise, tu as l’humour, tout ce qui te manque, c’est la technique.” C’est pour ça qu’aujourd’hui, je dis que je suis allée à l’université de l’humour de Gilles Richer. La seule différence [avec une véritable université], c’est que je couchais avec le professeur. » Confidence de journaliste : rares sont les entrevues durant lesquelles on s’esclaffe aussi souvent.

L’élève s’émancipera rapidement du professeur : sursollicité par ses autres projets, Gilles Richer cède à sa femme en 1977 un de ses postes. Elle devient chef-scriptrice de la populaire émission le Festival de l’humour, animée tous les samedis de 10 h à 11 h, sur les ondes de CKAC, par Louis-Paul Allard, Roger Joubert, Pierre Labelle et Tex Lecor.

« Ce n’était pas toujours facile, parce que quand les gars n’aimaient pas un texte, ils lançaient la feuille au bout de la salle », se souvient-elle. « Mais vous dire comment sinon ç’a été agréable, travailler avec ces quatre gars-là. Je me sentais aimée, approuvée. J’étais à ma place. »

Comme une infirmière

À quoi ressemblait ce travail de chef-scriptrice ? À celui d’une infirmière, dit Louise, et pas seulement parce qu’il arrivait qu’elle doive multiplier les stratégies – jus de fruits, café, eau froide – afin de dégriser avant un enregistrement ceux qu’elle appelle encore affectueusement ses « moineaux », de solides buveurs, qui, eux, la surnommaient la Mère Bureau.

De 1977 jusqu’à 1987, au moment où elle cède son poste à son poulain Pierre Légaré afin d’aller retrouver son troisième mari en France, Mme Bureau vit à l’envers de tout le monde. « Je me mettais au travail vers minuit, jusqu’à 6, 7 h. Puis je sautais dans mon auto, je m’en allais à CKAC porter mes textes. Même qu’au tout début, comme je venais de me séparer, je n’avais pas encore assez d’argent pour m’acheter une machine à écrire. J’écrivais mes textes à la main et les secrétaires me les tapaient. »

Avantages non négligeables de cet horaire : celui de ne pas être importunée par le téléphone et de pouvoir répondre favorablement aux invitations de ses amies à les rejoindre au resto.

Il y en a qui trouvaient que j’étais une fille complètement désorganisée, une folle quasiment. Je leur disais : “Comment ça se fait d’abord que vous avez du respect pour une infirmière qui travaille de nuit ?” Je suis comme une infirmière. Je guéris le moral du monde !

Louise Bureau

L’interphone de la résidence de Mme Bureau crache un message, inaudible de notre côté du téléphone. « Entendez-vous ? Il va y avoir du bingo cet après-midi. » Et vous comptez y participer ? « Vous pouvez être sûr que je n’irai pas ! On est tellement infantilisés ici. »

Ne pas avoir peur

La vie mouvementée de Louise Bureau témoigne aussi des nombreux déchirements que l’entrée des femmes dans le monde du travail aura supposés. Son premier mariage, qui la destinait à une existence typique de ménagère, prend fin alors qu’elle n’a que 25 ans et deux enfants. Le quotidien d’une mère, ou du moins la conception qu’on en avait à l’époque, l’étouffe.

« Quand j’allais dans les partys, j’aimais ça me tenir avec les hommes, parce que j’étais incapable d’endurer les placotages de femmes : les bobos de l’un, les succès scolaires de l’autre. Je n’en suis pas fière, mais j’ai eu de la difficulté à tenir mon rôle de mère. »

Ce n’est que plus tard que sa relation avec la journaliste Solange Harvey ou l’écrivaine Denise Boucher la réconcilie avec l’amitié au féminin.

Ces femmes se tenaient debout et elles m’ont donné le goût de moi aussi me tenir debout devant les hommes.

Louise Bureau

Il y a exactement 35 ans, le 8 mars 1986, dans un portrait que lui consacrait La Presse, Louise Cousineau relevait une ironie qui continue de faire sourire : comment une femme a-t-elle pu diriger une émission aussi macho que le Festival de l’humour, où les blagues misogynes pleuvaient ? « Pourquoi donnerait-on un traitement de faveur aux femmes ? répondait la chef-scriptrice. On peut rire des policiers niaiseux, des sportifs épais. Aux États-Unis, Don Rickles rit des Juifs, Joan Rivers se moque méchamment de tout le monde – notamment de la graisse d’Elizabeth Taylor. »

« Je me suis fait haïr par les femmes, c’est effrayant », lance-t-elle aujourd’hui, avant de louer la marge de manœuvre à laquelle les jeunes humoristes peuvent goûter. « Je ne sais pas si c’est parce que je suis vieille, mais je trouve parfois qu’elles vont un peu loin. D’un autre côté, je me dis : “Elle est chanceuse, elle, elle a le guts d’écrire ça.” Je n’en reviens pas de comment elles sont libres. »

Un conseil pour les jeunes femmes qui souhaitent faire carrière dans le rire ? « Le plus important, c’est de ne pas avoir peur. »