Chaque jour, Sam Cyr et Marylène Gendron s’appellent. « Et un des sujets qui reviennent tout le temps, c’est comment on s’haït », avoue le premier, en riant fort. « “Ah, mon dieu, ma peau est laide aujourd’hui, je suis donc ben gros.” Chaque jour, on se trouve gros et on s’appelle pour se le dire. »

Marylène sourit. « Ça peut faire deux heures qu’on est au téléphone. Sam décide d’aller à l’épicerie. Il met son manteau, pis là, il me dit : “Mon manteau est ben trop serré ! Je ne rentre plus dans mon manteau.” Et là, j’essaie de le convaincre que ce n’est pas grave, qu’il a juste à s’acheter un autre manteau. On essaie de se réconforter. »

Au cœur d’une offre balado où les propositions tendent à se ressembler – chaque humoriste québécois plus ou moins connu semble avoir épuisé son répertoire d’anecdotes de loges –, Sam Cyr et Marylène Gendron tenaient dans leurs jasettes quotidiennes un vrai bon sujet : celui des complexes qui nous pourrissent l’existence. Voilà le riche programme de Tout le monde s’haït, balado au micro duquel le duo discute avec ses invités de leur quête d’amour-propre, mais aussi du dégoût d’eux-mêmes, qu’il tente de soigner.

Des fois, je me sens un peu mal pour les autres podcasts, parce qu’on a shotgunné la partie la plus juteuse d’une entrevue. Mais c’est ça qu’on voulait entendre ! On veut savoir comment tu le trouves, ton bourrelet, quand t’es à la télé. Dis-le-nous !

Sam Cyr, humoriste

Lancée en mars 2021, la balado, qui compte maintenant plus de 25 épisodes, est nommée au prochain Gala Les Olivier dans la catégorie Podcast humoristique sans script de l’année. Une mention plus que méritée, mais aussi un peu ironique. C’est que, s’ils sont explorés avec beaucoup d’autodérision, parfois même avec une légèreté de bon aloi, les sujets chers à Tout le monde s’haït sont indéniablement plus sérieux qu’humoristiques.

Des exemples ? Katherine Levac évoque la déception que sa perte de poids a provoquée chez certains de ses admirateurs qui voyaient en elle un exemple d’épanouissement. Stéphanie Boulay réfléchit à voix haute à la pression de subir une intervention chirurgicale esthétique. Jean-Sébastien Girard (qui choisit parcimonieusement les balados auxquelles il participe) confie recevoir systématiquement des messages au sujet de sa dentition lorsqu’il apparaît au petit écran.

« Ça m’étonne chaque fois à quel point les gens sont ouverts », lance Marylène, pour qui, ça ne fait aucun doute, le miroir des médias exacerbe le sentiment d’inadéquation de ceux qui y aperçoivent leur reflet.

Être constamment pris en photo, avoir une caméra sur toi, en partant, ça te fait tout le temps penser à ton apparence. Mais c’est sûr que faire semblant que tout le monde à la télé est une petite poupée parfaite, c’est surtout ça qui finit par créer des attentes qui n’ont rien à voir avec la réalité.

Marylène Gendron, humoriste

Avoir besoin du micro

Amis depuis le jour un de leurs études à l’École nationale de l’humour, où ils ont obtenu leur diplôme en 2018, Sam Cyr, 34 ans, et Marylène Gendron, 24 ans, appartiennent à une génération de comiques pour qui la scène est moins une occasion de laisser libre cours à leur exubérante énergie que de parler de leur rapport au monde et de leurs anxiétés nombreuses, dans une tradition ayant plus à voir avec l’alt comedy (humour alternatif) américaine, microcosme où des personnalités étranges ou timides ont pu s’épanouir.

IMAGE FOURNIE PAR TOUT LE MONDE S’HAÏT

L’affiche de l’émission balado Tout le monde s’haït

« C’est en voyant ici un Yannick de Martino ou une Katherine Levac que j’ai compris qu’il y avait de la place pour des personnalités introverties comme moi, qui a besoin du micro pour être entendu », se souvient Sam Cyr, qui amorçait le rodage de son premier spectacle, joliment intitulé Endoudouné, en décembre dernier. Marylène Gendron doit quant à elle présenter bientôt les premières dates de son solo, Un jour (ou l’autre). Des spectacles dont les thèmes, forcément, recoupent ceux de Tout le monde s’haït.

Assumer cet humour, où le rire se conjugue à l’introspection, suppose cependant un courage certain, surtout devant des publics qui ne demandent qu’à être bêtement distraits. « C’est sûr que si je participe à un spectacle corporatif, j’ai parfois l’impression de casser le party quand je monte sur scène après un gars qui vient de raconter une baise en criant dans le micro, fait observer Marylène. C’est sûr que ça clashe quand je me mets à raconter que j’ai de la misère à m’aimer. »

On chemine ?

S’il peut y avoir quelque chose de réconfortant à apprendre qu’un Adonis comme Jean-Philippe Wauthier ne se trouve pas parfait, entendre des gens bénis des dieux dresser la liste de leurs microscopiques défauts peut aussi être violent pour qui vit dans un corps ne correspondant pas du tout aux normes occidentales de beauté. Ce corps que l’on voudrait changer est toujours le corps idéal d’un autre, Sam et Marylène le savent trop bien.

« On essaie d’être prudents, de s’éduquer, de ne pas dire de niaiseries, explique Sam. Je ne pense pas que notre podcast serait satisfaisant pour quelqu’un qui vit avec une obésité morbide, par exemple, mais on ne veut pas non plus invalider les complexes de nos invités. »

Et qu’en est-il de leur propre cheminement ? Se sentent-ils mieux, maintenant qu’ils ont passé plusieurs heures à retourner dans tous les sens ces questions délicates ? « On aimerait vraiment dire que c’est derrière nous, mais… non », répond Marylène en éclatant de rire.

Ces entretiens, quelque part entre les blagues et les larmes, auront néanmoins permis, à leurs invités comme aux animateurs, de nommer ce qui les tourmente. Ce qui est déjà beaucoup. « Ce qui est sûr, conclut Marylène, c’est que ça a plus d’utilité que lorsqu’on s’appelle pour se plaindre. »

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