Les mèmes – ces créations virales qui mêlent humour et culture populaire – sont loin d’être une nouveauté. « La différence, maintenant, c’est que la pandémie a fait en sorte de changer les lieux où se fait l’humour. On ne pouvait plus se voir en personne et ça a accéléré la transition vers l’humour numérique qui est plus accessible à un large public », dit Julie Dufort, enseignante de science politique à l’École nationale de l’humour.
Les points de presse de François Legault
En suggérant des siestes et d’occasionnels verres de vin entre deux consignes sanitaires, le premier ministre du Québec, François Legault, est devenu une source d’inspiration intarissable pour les memelords, les créateurs de mèmes. Les mèmes concoctés au fil des points de presse scrutés à la loupe sont devenus des cris de ralliement… pour le meilleur et pour le pire. L’adhésion extrêmement forte aux politiques du gouvernement début mars, mais aussi le ras-le-bol face aux consignes sanitaires des mois plus tard se perçoivent dans les mèmes, indique Mme Dufort. « Une des fonctions de l’humour, c’est de critiquer le pouvoir et on l’a définitivement vu dans ce cas-là. »
Le docteur Arruda
Figure marquante, le Dr Horacio Arruda est devenu l’idole des Québécois au printemps dernier. De nombreux sites de mèmes lui sont d’ailleurs consacrés. Les collages rigolos qui le présentaient comme véritable héros ont toutefois peu à peu évolué vers des blagues au ton plus acerbe. Le cas du directeur national de santé publique est très intéressant aux yeux de Julie Dufort. Ses déclarations spontanées sur les bancs de parc à ne pas lécher et les tartelettes portugaises ont charmé les Québécois. « Au début, c’était rassembleur, dit-elle. On riait avec lui et ça paraît dans les mèmes. Puis, quand la population s’est fatiguée des restrictions sanitaires, on a vu des mèmes qui le mettait moins sur un piédestal. Tout d’un coup, on était loin des tartelettes portugaises ! » Les mèmes sont un excellent baromètre de l’humeur de la population, précise l’experte : « Tout le monde peut faire des mèmes, donc tout le monde a son mot à dire. »
Les théories du complot
Faut-il ou non caricaturer le mouvement complotiste ? En ridiculisant les anti-masques et anti-vaccins, la division entre les opposants aux consignes sanitaires et les autres risque d’être accentuée, admet Julie Dufort. L’humour peut aussi donner l’impression de minimiser les dangers de cette pensée qui remet en question l’existence même de la pandémie. En contrepartie, dénoncer à coup de mèmes des théories non fondées permet de mettre de l’avant leurs absurdités. « En faisant des blagues, on vient normaliser quelque chose qui demeure inquiétant plutôt qu’offrir une vraie réflexion sur le populisme et la désinformation. C’est une question difficile, car il ne faut surtout pas arrêter d’utiliser l’humour pour faire passer un message », soutient Mme Dufort.
La pandémie au quotidien
La pandémie a changé la vie du jour au lendemain et une bonne proportion des blagues sur le web tournent désormais autour de ces changements sur le quotidien de tout le monde. Les mèmes ont été des blagues salvatrices à partager pour briser l’isolement, insiste Julie Dufort. À défaut de pouvoir jaser de l’actualité au bureau, une image rapidement envoyée dans un groupe de discussion fait l’affaire. « Je n’ai pas souvenir d’une période dans l’histoire au Québec où l’humour était aussi unificateur et consensuel qu’au tout début de la pandémie, explique la professeure. On avait besoin de ces blagues sur le télétravail ou les enfants à la maison. »
Les élections américaines
Le monde mémétique n’allait quand même pas laisser passer une élection historique sans faire une blague ou deux. Le mème politique a revêtu ses plus beaux atours pendant que le monde entier attendait qu’une poignée d’États américains achèvent de compter les bulletins de vote. Une foule d’internautes se sont délectés du fait que Donald Trump n’accepte pas sa défaite.
De Michael Jordan à Tiger King
« Quand je regarde les mèmes les plus populaires de 2020, c’est super varié. Ça va du politicien bien établi à l’émission Tiger King », analyse Mme Dufort. Les mèmes illustrent avec brio ce qui a été populaire tout au long de l’année, car pour que la blague soit efficace, elle doit être comprise de tous. « Les mèmes de Michael Jordan ont été très utilisés puisque beaucoup ont regardé la série documentaire The Last Dance, sur Netflix. Ça ne s’est pas seulement limité aux amateurs de sport ou de basket. Pour que ça fonctionne, l’image n’a d’ailleurs pas besoin d’avoir un lien avec le propos. »
Black Lives Matter et racisme systémique
Les mèmes peuvent aussi prendre un ton plus sérieux. Le meurtre de George Floyd, un Afro-Américain asphyxié sous le genou d’un policier blanc, a provoqué une onde de choc et une récurrence de mèmes antiracistes. Au Québec, la controverse autour de la question du racisme systémique a aussi inspiré plus d’un mème. Teintées de revendications, certaines images font moins rire que réfléchir. « L’humour en général nous a aidés à passer à travers une période trouble, on avait ce besoin d’un exutoire et les mèmes en ont fait partie », résume Julie Dufort.