Lorsque le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) et Radio-Canada, dans l’affaire du mot commençant par N, ont traversé des tempêtes, Pablo Rodriguez est demeuré plutôt discret. Il s’est contenté de répondre aux questions des journalistes lors des mêlées, mais il n’y a pas eu d’esclandre de sa part.

Maintenant que la poussière est bien retombée, il a accepté de me rencontrer. Le contact fut cordial, les propos limpides. « Mon rôle est de mettre les bonnes personnes en place et de faire confiance à ces gens et aux institutions. Si on fait des erreurs en nommant ces personnes, il faut toutefois les assumer. »

Cette distance qu’il tient à respecter n’empêche pas des interventions directes. Et quand il le fait, il s’arrange pour viser le bon pion. Dans le cas du MBAC, ça s’est fait avec Françoise Lyon, la présidente du conseil d’administration. « Bien sûr que j’ai voulu obtenir un portrait de la situation. »

En ce qui a trait à Catherine Tait, présidente de CBC/Radio-Canada, il n’a pas hésité à lui faire savoir que son intervention auprès de Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada (ce dernier menace de « définancer » la société d’État si son parti est élu), n’était pas une bonne idée.

Pablo Rodriguez a « fait comprendre » à Catherine Tait qu’elle n’aurait pas dû lui écrire pour obtenir une rencontre avec lui.

Je pense que tout dirigeant doit garder cette neutralité qui est nécessaire dans l’exercice de ses fonctions. M. Poilievre, qui a une haine viscérale envers CBC, l’utilise pour recueillir des fonds et alimenter sa base qui est plutôt à droite.

Pablo Rodriguez

Toujours au sujet de Catherine Tait, dont le mandat vient à échéance en juillet, l’occasion était belle de faire le point sur le processus d’embauche de son successeur. « C’est enclenché. On continue de regarder ça. Il y a toutes sortes d’impératifs », s’est-il contenté de dire.

Le mandat de Catherine Tait pourrait être renouvelé, cela s’est déjà vu dans le passé. Là-dessus, Pablo Rodriguez a été prudent. « Elle a ses forces et ses faiblesses… comme tous les dirigeants. On regarde les possibilités de renouvellement ou non. »

Crise au MBAC

Si le dossier de la présidence de CBC/Radio-Canada avance lentement, celui de la direction du MBAC monopolise davantage d’énergie à Ottawa. « Il y a urgence d’agir, m’a dit Pablo Rodriguez. J’appellerais ça un processus accéléré. On a mis des lignes à l’eau, on a rencontré énormément de personnes. Je pense que c’est important qu’il y ait un nouveau leadership pour redonner la confiance envers l’institution. »

La vague de congédiements de plusieurs grosses pointures du MBAC au cours des derniers mois a grandement inquiété le milieu culturel. « Il y a toutefois des éléments secrets là-dedans, précise Pablo Rodriguez. Une version interne justifie ces décisions. Je n’ai pas voulu m’immiscer dans la gestion des ressources humaines, mais on m’a expliqué qu’il y avait des cas qui traînaient depuis des années. »

Lors d’une entrevue avec Nathalie Bondil, ex-DG du Musée des beaux-arts de Montréal, cette dernière m’a avoué qu’elle avait reçu des appels de phares d’Ottawa pour prendre en main la direction du MBAC. Pablo Rodriguez n’a pu réprimer un éclat de rire quand je lui ai fait part de cela.

« Oui, je suis au courant de cela. Mes directives étaient claires : je veux la meilleure personne et au plus vite. Je pense qu’on ne peut pas se tromper et on ne va pas se tromper. Cela dit, ce sont des comités indépendants que je laisse travailler. L’étape où l’on m’informera des choix arrivera plus tard. »

Inclusion et diversité

La tendance qui consiste à greffer des valeurs d’inclusion, d’équité et de diversité dans le monde de la culture touche chacune des institutions dont Pablo Rodriguez est responsable. On assiste à une véritable révolution. « Oui, il y a une volonté de changer les choses, mais je crois qu’il faut regarder ça avec un œil nouveau sans pour autant juger le passé. Il ne faut pas penser que tout ce qui était là avant n’est pas bon. Je n’accepterai jamais cette philosophie-là. »

Pablo Rodriguez reconnaît que ce changement passe parfois difficilement auprès du public, du milieu culturel et de certains chroniqueurs.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien

Je dis souvent que s’il y a un ministère délicat à Ottawa, c’est bien celui du Patrimoine canadien parce qu’il touche aux questions identitaires, à la langue et à la culture. Oui, ce n’est pas toujours facile de faire cette transformation, mais on doit tenir compte du fait qu’à travers le temps, il y a des gens qui ont été blessés et exclus.

Pablo Rodriguez

Lors du dévoilement du budget 2023-2024, on a appris que le ministère du Patrimoine canadien composerait avec un budget de 1,94 milliard, soit 240 millions en moins par rapport à l’année dernière. Pablo Rodriguez a tenu à nuancer ces chiffres. « Dans les faits, il n’y a pas d’argent en moins. Quand on regarde ça de plus près, dans le budget précédent 2021-2022, il y avait des secteurs qui recevaient de l’argent sur deux ou trois ans. »

Le spectre d’une période d’austérité à partir de 2024-2025 est évoqué depuis quelques semaines. Est-ce que les institutions culturelles du fédéral (Conseil des arts du Canada, Office national du film, Téléfilm, Fonds des médias, musées nationaux, etc.) devraient commencer à s’inquiéter ? « Ça, c’est si je n’arrive pas à le faire augmenter, répond-il tout de go. Lorsqu’on fait des engagements, c’est sur un mandat complet. Il me reste plus que la moitié du mandat pour livrer ça. C’est ma job d’atteindre ça. »

On m’a récemment parlé de l’inquiétude qui règne à Radio-Canada quant à une diminution de son budget. « Peut-être qu’on vous a dit ça, mais je ne crois pas qu’ils soient inquiets. Il y avait cette enveloppe dans les budgets précédents et il y a toujours la possibilité d’aller chercher de l’argent dans d’autres budgets. »

Le legs de Rodriguez

Pablo Rodriguez a la réputation d’être un bûcheur. En plus de ses fonctions de lieutenant du Québec (qui l’oblige à être au courant des grands dossiers de ses collègues), il assume aussi celles de ministre du Patrimoine. Est-ce à cause de cette énergie que Justin Trudeau lui a demandé de reprendre la culture et les communications lors du remaniement d’octobre 2021 ? « En fait, c’est moi qui ai demandé à revenir, dit-il. Être ministre du Patrimoine a été la plus belle expérience de ma vie. J’ai voulu revenir, car je voulais mener à terme les lois C-11 et C-18. »

Ces deux lois seront très certainement l’héritage de Pablo Rodriguez. La loi C-11 va conférer de nouveaux pouvoirs au CRTC, notamment en ce qui a trait aux géants du numérique. Quant à la loi C-18, elle forcera les grands acteurs du web, comme Google et Meta, à indemniser les médias pour la republication de leurs contenus de nouvelles ou la création de liens vers ces contenus.

La loi C-11 devrait franchir la dernière étape très bientôt. C’est pour cela que certains ont jugé que l’intervention de Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications au Québec (il souhaite que les mesures adoptées tiennent compte des spécificités culturelles du Québec), est arrivée beaucoup trop tard.

« Rouvrir le projet serait une mauvaise chose. Il faudrait retourner en comité et ça donnerait l’occasion aux conservateurs de le tuer. »

Cela dit, Mathieu Lacombe a raison sur l’importance de consulter le Québec. Et je vais renforcer ça dans ma directive au CRTC lorsque la loi sera adoptée. Je comprends ça. Je suis quand même Québécois jusqu’au bout des ongles.

Pablo Rodriguez

Quant à la loi C-18, elle semble être solidement sur les rails, selon Pablo Rodriguez. « Elle vient de franchir une étape importante, car elle a été envoyée par le Sénat au comité où je vais comparaître. J’ai bon espoir que cette loi sera adoptée d’ici au mois de juin, soit au moment où la Chambre lève. »

Si Pablo Rodriguez atteint cet objectif, le Canada rejoindra les rares pays, comme l’Australie, à avoir tenu tête à ceux qui pensaient qu’ils pouvaient venir chez nous piller nos contenus sans vergogne.

Pablo Rodriguez veut « finir la job ». Souhaitons que sa ténacité prenne la forme d’un legs.

Lisez la chronique « La culture selon Ottawa » Consultez le texte « Budget fédéral 2023 : le milieu culturel reçoit l’appui d’Ottawa, mais en voudrait plus »